Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t8.djvu/453

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couverte que d’arbres & de bêtes féroces ; à la fin tout eût péri.

Les eaux auroient perdu peu à peu la circulation qui vivifie la terre. Les montagnes se dégradent & s’abaissent, les fleuves charrient, la mer se comble & s’étend, tout tend insensiblement au niveau : la main des hommes retient cette pente & retarde ce progrès ; sans eux il seroit plus rapide, & la terre seroit peut-être déjà sous les eaux. Avant le travail humain, les sources, mal distribuées, se répandoient plus inégalement, fertilisoient moins la terre, en abreuvoient plus difficilement les habitans. Les rivieres étoient souvent inaccessibles, leurs bords escarpés ou marécageux : l’art humain ne les retenant point dans leurs lits, elles en sortoient fréquemment, s’extravasoient à droite ou à gauche, changeoient leurs directions & leurs cours, se partageoient en diverses branches ; tantôt on les trouvoit à sec, tantôt des sables mouvans en défendoient l’approche ; elles étoient comme n’existant pas, & l’on mouroit de soif au milieu des eaux.

Combien de pays arides ne sont habitables que par les saignées & par les canaux que les hommes ont tiré des fleuves ! La Perse presque entiere ne subsiste que par cet artifice :


un balancement perpétuel qui leur tiendrait lieu d’équilibre. Quand l’espèce dévorante se sera, dit-on, trop multipliée aux dépens de l’espèce dévorée, alors, ne trouvant plus de subsistance, il faudra que la première diminue et laisse à la seconde le temps de se repeupler ; jusqu’à ce que, fournissant de nouveau une subsistance abondante à l’autre, celle-ci diminue encore, tandis que l’espèce dévorante se repeuple de nouveau. Mais une telle oscillation ne me paraît point vraisemblable : car, dans ce système, il faut qu’il y ait un temps où l’espèce qui sert de proie augmente, et où celle qui s’en nourrit diminue ; ce qui me semble contre toute raison.