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Il4 DU CONTRAT SOCIAL

droit qui périt quand la force cesse ? S'il faut obéir par force, on n'a pas besoin d'obéir par devoir; et si l'on n'est plus forcé d'obéir, on n'y est plus obligé. On voit donc que ce mot de droit n'ajoute rien à la force ; il ne signifie ici rien du tout (').

Obéissez aux puissances. Si cela veut dire : cédez à la force, le précepte est bon, mais superflu; je réponds qu'il ne sera jamais violé. Toute puissance vient de Dieu, je l'avoue; mais toute maladie en vient aussi : est-ce à dire qu'il soit défendu d'appeler le médecin? Qu'un brigand me surprenne au coin d'un bois : non seulement il faut par force donner la bourse, mais, quand je pourrais la soustraire, suis-je en conscience obligé de la donner ? Car enfin le pistolet qu'il tient est aussi une puissance.

Convenons donc que force ne fait pas droit, et qu'on n'est obligé d'obéir qu'aux puissances légitimes. Ainsi ma question primitive revient toujours( 2 ).

f 1 ) On voit donc ce qu'est le droit pour Rousseau. C'est un pouvoir purement moral, qui résulte de la raison seule et n'est reconnu que par elle ; il repose sur la conviction qu'une chose est juste et que nous sommes par suite obligés de ne rien faire pour l'empêcher. Ainsi un fait ne peut pas plus fonder que détruire un droit. — C'est déjà la théorie que reprendra Kant dans sa morale. M. Fouillée a cru voir dans l'élaboration progressive de cette conception l'œuvre principale de la civilisation française. C'est^lle que suppose la Déclaration de 1789 lorsqu'elle proclame imprescriptibles et inaliénables les droits de l'homme et du citoyen.

( 2 ) On arrive, en effet, à se demander ce qui peut rendre une puissance ou une autorité Légitime. On retrouve donc la question, déjà posée aux premières lignes du pre- mier chapitre : en vertu de quel principe la liberté humaine peut-elle Légitimement être limitée ou supprimée ?

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