Page:Rousseau - Du Contrat social éd. Beaulavon 1903.djvu/147

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l’instant heureux qui l’en arracha pour jamais, et qui, d’un animal stupide et borné, fit un être intelligent et un homme.

Réduisons toute cette balance à des termes faciles à comparer. Ce que l’homme perd par le contrat social, c’est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu’il peut atteindre ; ce qu’il gagne, c’est la liberté civile et la propriété de tout ce qu’il possède. Pour ne pas se tromper dans ces compensations, il faut bien distinguer la liberté naturelle, qui n’a pour bornes que les forces de l’individu, de la liberté civile, qui est limitée par la volonté générale (1) ; et la possession, qui n’est que reflet de la force ou le droit du premier occupant, de la propriété, qui ne peut être fondée que sur un titre positif.

On pourrait, sur ce qui précède, ajouter à l’acquis de l’état civil la liberté morale, qui seule rend l’homme vraiment maître de lui ; car l’impulsion du seul appétit est esclavage, et l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté (2). Mais je n’en ai déjà que trop dit sur cet article, et le sens philosophique du mot liberté n’est pas ici de mon sujet.

(1) La liberté naturelle, c’est le pouvoir de faire tout ce qu’on peut,, liberté théoriquement illimitée, mais en fait infiniment réduite par les conditions de la vie dans l’état de nature ; — la liberté civile, c’est le pouvoir de faire tout ce qui est permis par la loi, liberté restreinte, mais dont la société nous garantit l’entière jouissance.

(2) La liberté morale, ou libre arbitre, c’est le pouvoir de choisir sans contrainte entre plusieurs partis. Or cette liberté suppose la raison. Le pur instinct nous impose des fins que nous n’avons pas librement choisies. L’homme libre est celui qui décide lui-même ce qu’il veut faire, com-