Page:Rousseau - Du Contrat social éd. Beaulavon 1903.djvu/18

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une réalité historique, ce n’est pas ce fait, en tant que tel, qui aurait fondé le droit, mais seulement la raison nécessaire dont ce fait aurait été l’expression contingente [1] ; car il ne s’agit pas de savoir ce qui est ou ce qui a été, mais seulement « ce qui doit être [2] ». Il est donc bien clair que le problème étudié par Rousseau dans le Contrat social n’est nullement un problème historique.

D’où vient donc que tant de critiques aient imité Voltaire [3] et reproché à Rousseau d’avoir fondé son système sur une « erreur de fait », sur une « chimère » n’ayant jamais existé ? — En grande partie, je crois, de ce qu’on a voulu voir dans le Contrat social une suite du Discours sur l’origine de l’inégalité et de ce qu’on a méconnu la différence profonde des problèmes posés dans les deux ouvrages, ce qui condamnait d’ailleurs à ne plus comprendre la différence de leurs solutions. Il s’agit dans le Discours, comme le titre l’indique, d’une question d’origine, par suite, d’une question de fait ; Rousseau prétend d’ailleurs la résoudre par le raisonnement a priori et par une construction de l’imagination ; il ne se pique point d’exactitude historique ; la simple vraisemblance lui suffit, car il tient beaucoup moins à reconstituer des faits réels qu’à distinguer « l’homme de la nature et l’homme de l’homme » et à montrer ce que la vie sociale a ajouter d’inégalités factices aux inégalités primitives. L’esprit et la méthode du Discours ne sont donc pas réellement historiques : mais Rousseau, pour expliquer ses idées, n’en avait pas moins donné à son ouvrage une forme historique, et il s’est par là même exposé à des critiques très fondées. Mais, dans le Contrat, il s’agit d’un tout autre objet et Rousseau y déclare précisément « ignorer » comment

  1. Disc, sur l’inég., p. 316.
  2. Émile, V, p. 493.
  3. Cf. Idées républicaines par un citoyen de Genève.