Page:Rousseau - Du Contrat social éd. Beaulavon 1903.djvu/206

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grand qu’il est possible ; en sorte que chaque citoyen soit dans une parfaite indépendance de tous les autres, et dans une excessive dépendance de la cité : ce qui se fait toujours par les mêmes moyens[1] ; car il n’y a que la force de l’État qui fasse la liberté de ses membres. C’est de ce deuxième rapport que naissent les lois civiles.

On peut considérer une troisième sorte de relation entre l’homme et la loi, savoir celle de la désobéissance à la peine ; et celle-ci donne lieu à l’établissement des lois criminelles, qui, dans le fond, sont moins une espèce particulière de lois que la sanction de toutes les autres.

À ces trois sortes de lois il s’en joint une quatrième, la plus importante de toutes, qui ne se grave ni sur le marbre, ni sur l’airain, mais dans les cœurs des citoyens ; qui fait la véritable constitution de l’État ; qui prend tous les jours de nouvelles forces ; qui, lorsque les autres lois vieillissent ou s’éteignent, les ranime ou les supplée, conserve un peuple dans l’esprit de son institution, et substitue insensiblement la force de l’habitude à celle de l’autorité. Je parle des mœurs, des coutumes, et surtout de l’opinion ; partie inconnue à nos politiques[2], mais de laquelle dépend le succès de toutes les autres ; partie dont le grand législateur s’occupe en

  1. C’est-à-dire, ce sont les mêmes mesures qui assurent d’un même coup la dépendance de l’individu à l’égard de l’État et son indépendance à l’égard des particuliers, ce qui est la condition de la liberté.
  2. La sociologie contemporaine commence à étudier scientifiquement ces phénomènes. Voir notamment les travaux de M. Tarde.