Page:Rousseau - Du Contrat social éd. Beaulavon 1903.djvu/239

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cela ne convient à un petit Etat, que ruinent tous ces degrés.

Mais s’il est difficile qu’un grand Etat soit bien gouverné, il l’est beaucoup plus qu’il soit bien gouverné par un seul homme ; et chacun sait ce qu’il arrive quand le roi se donne des substituts.

Un défaut essentiel et inévitable, qui mettra toujours le gouvernement monarchique au-dessous du républicain, est que dans celui-ci la voix publique n’élève presque jamais aux premières places que des hommes éclairés et capables, qui les remplissent avec honneur ; au lieu que ceux qui parviennent dans les monarchies ne sont le plus souvent que de petits brouillons, de petits fripons, de petits intrigants, à qui les petits talents, qui font dans les cours parvenir aux grandes places, ne servent qu’à montrer au public leur ineptie aussitôt qu’ils y sont parvenus. Le peuple se trompe bien moins sur ce choix que le prince ; et un homme d’an vrai mérite est presque aussi rare dans le ministère[1] qu’un sot à la tête d’un gouvernement républicain. Aussi, quand, par quelque heureux hasard, un de ces hommes nés pour gouverner prend le timon des affaires dans une monarchie presque abîmée par ces tas de jolis régisseurs, on est tout surpris des ressources qu’il trouve, et cela fait époque dans un pays[2].

  1. Ministère s’applique proprement aux auxiliaires ou substituts du monarque, et non aux chefs d’une république.
  2. Compliment à l’adresse de Choiseul, alors premier ministre, dont Rousseau espérait ainsi s’assurer la bienveillance, comme il le déclare dans les Confessions, part. II, liv. xr. Ce paragraphe tout entier avait d’ailleurs été intercalé à la dernière minute par Rousseau dans le texte primitif (lettre à Rey, 6 janv. 1762). Il n’empêcha pas les persécutions.