Page:Rousseau - Du Contrat social éd. Beaulavon 1903.djvu/324

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même en les fixant, lorsqu’elles sont encore incertaines. L’usage des seconds dans les duels, porté jusqu’à la fureur dans le royaume de France, y fut aboli par ces seuls mots d’un édit du roi : « Quant à ceux qui ont la lâcheté d’appeler des seconds… » Ce jugement, prévenant celui du public, le détermina tout d’un coup. Mais quand les mêmes édits voulurent prononcer que c’était aussi une lâcheté de se battre en duel, ce qui est très vrai mais contraire à l’opinion commune, le public se moqua de cette décision, sur laquelle son jugement était déjà porté.

J’ai dit ailleurs [1] que l’opinion publique n’étant point soumise à la contrainte, il n’en fallait aucun vestige dans le tribunal établi pour la représenter. On ne peut trop admirer avec quel art ce ressort, entièrement perdu chez les modernes, était mis en œuvre chez les Romains, et encore mieux chez les Lacédémoniens.

Un homme de mauvaises mœurs ayant ouvert un bon avis dans le Conseil de Sparte, les éphores, sans en tenir compte, firent proposer le même avis par un citoyen vertueux. Quel honneur pour l’un, quelle note [2] pour l’autre, sans avoir donné ni louange, ni blâme à aucun des deux ! Certains ivrognes de Samos [3] souillèrent le tribunal des

  1. (a) Je ne fais qu’indiquer dans ce chapitre ce que j’ai traité plus au long dans la Lettre à M. d’Alembert. (Note de Rousseau). — Il s’agit de la Lettre sur les spectacles (vers le milieu).
  2. Ce mot a ici son sens étymologique : infamie.
  3. Ils étaient d’une autre île, que la délicatesse de notre langue défend de nommer dans cette occasion. (Note de Rousseau, édit. de 1782). — Rousseau a cru devoir prendre la singulière précaution de substituer le nom de Samos à celui de l’île de Chio, où Plutarque place le théâtre de cette anecdote (Dits notables des Lacédémoniens).