Page:Rousseau - Du Contrat social éd. Beaulavon 1903.djvu/337

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LIVRE QUATRIÈME 32}

de leur en imposer et de s'emparer d'une partie de l'autorité publique, voilà un homme constitué en dignité : Dieu veut qu'on le respecte ; bientôt voilà une puissance : Dieu veut qu'on lui obéisse. Le dépositaire de cette puissance en abuse-t-il, c'est la verge dont Dieu punit ses enfants. On se ferait conscience de chasser l'usurpateur : il faudrait trou- bler le repos public, user de violence, verser du sang ; tout cela s'accorde mal avec la douceur du chrétien (*) ; et, après tout, qu'importe qu'on soit libre ou serf dans cette vallée de misère ? L'essen- tiel est d'aller en paradis, et la résignation n'est qu'un moyen de plus pour cela.

Survient-il quelque guerre étrangère, les citoyens marchent sans peine au combat ; nul d'entre eux ne songe à fuir; ils font leur devoir, mais sans passion pour la victoire ; ils savent plutôt mourir que vain- cre. Qu'ils soient vainqueurs ou vaincus, qu'im- porte ? La Providence ne sait-elle pas mieux qu'eux ce qu'il leur faut ? Qu'on imagine quel parti un ennemi lier, impétueux, passionné, peut tirer de leur stoïcisme ! Mettez vis-à-vis d'eux ces peuples généreux que dévorait l'ardent amour de la gloire et de la patrie ; supposez votre république chré- tienne vis-à-vis de Sparte ou de Rome : les pieux chrétiens seront battus, écrasés, détruits, avant d'avoir eu le temps de se reconnaître, ou ne devront leur salut qu'au mépris que leur ennemi concevra pour eux. C'était un beau serment à mon gré que celui des soldats de Fabius ( 2 ) ; ils ne jurèrent

( j ) Du « vrai chrétien », c'est-à-dire du chrétien selon les Évangiles, — non du chrétien historique. ( 2 ) Tite-Live, II, 45.

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