Page:Rousseau - Du Contrat social éd. Beaulavon 1903.djvu/63

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INTRODUCTION 53

nables et justes on peut espérer du moins une majorité ayant du bon sens et de l'équité. Ret'usera-t-on même d'aller jusque là, dira-t-on qu'il n'est pas démontré que les majorités consentent jamais à respecter les minorités et à faire de l'intérêt général leur unique principe d'action : je répondrai alors, avec Rousseau : eh bien, en ce cas, il ne peut y avoir de liberté ! C'est ce qu'a vu très profondément Rousseau : c'est cette pensée, d'un réalisme si précis, qu'on trouve au fond de la théorie, en apparence formelle et subtile, de la volonté générale. Pour que la liberté politique entraîne réellement et en fait le maximum de liberté civile, il faut que les citoyens aient en vue l'intérêt général ; s'il se forme des brigues pour favoriser les intérêts particuliers, si les individus se laissent corrompre, s'ils oublient la solida- rité qui les unit à l'ensemble du corps social, si l'igno- rance ou les passions les empêchent de comprendre que la loi ne peut favoriser l'intérêt de chacun qu'en assu- rant également le bien de tous, il est très vrai que la liberté politique pourra engendrer des lois inutilement oppressives et tyranniques. Loin qu'il ait ici péché par excès d'optimisme et d'idéalisme, on pourrait peut-être reprocher à Rousseau de s'être fait une idée exagérée des vices inhérents à toute société civilisée, et d'avoir trop facilement désespéré de la réalisation de la liberté (*)•

Rousseau reconnaît donc et proclame cette vérité solide que, si la souveraineté populaire est la condition nécessaire de la liberté et de l'égalité, elle n'en est pas, en fait, la condition suffisante. La volonté générale, pour être infaillible, doit d'abord être la volonté géné- rale, et nous avons vu ( 2 ) quelles conditions elle suppose. La liberté ne sortira réellement des institutions que si les hommes, qui font la loi, sont capables de raison

(*) Cf. Consid. sur le gouv. de Pologne, ch. vi. — Lettre au Marquis de Mirabeau, 26 juillet 1767, etc. ( 2 ) Cf. ci-dessus, § 4.

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