Page:Roussel - Impressions d Afrique (1910).djvu/107

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Cuijper annonça le grand air de Gorloès et mit la pratique à sa bouche.

Soudain une voix surhumaine, qui, semblait-il, devait s’entendre à plusieurs lieues à la ronde, sortit de son gosier en faisant tressaillir tous les auditeurs.

Cette force colossale ne nuisait en rien au charme du timbre, et la pratique mystérieuse, cause de cet incroyable épanouissement, éclaircissait, au lieu de la dénaturer, l’élégante prononciation des paroles.

Évitant tout effort, Cuijper, comme en se jouant, révolutionnait les couches d’air, sans que jamais aucune intonation criarde ne vînt troubler la pureté de ses sons, qui rappelaient à la fois la souplesse de la harpe et la puissance de l’orgue.

À lui seul il remplissait l’espace mieux qu’un chœur immense ; ses forte auraient couvert les grondements du tonnerre, et ses piano conservaient une ampleur formidable, tout en donnant l’impression d’un léger murmure.

La note finale, prise en douceur, puis enflée avec art et quittée en pleine apogée, provoqua dans la foule un sentiment de stupeur qui dura jusqu’au départ de Cuijper, dont les doigts, de nouveau, maniaient l’étrange pratique.