Page:Roussel - Impressions d Afrique (1910).djvu/98

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À dix-huit ans, Lelgoualch, exerçant le métier de pêcheur, longeait chaque jour avec sa petite barque les côtes voisines de Paimpol, sa ville natale.

Possesseur d’un biniou, le jeune homme passait pour le meilleur joueur de la contrée. Chaque dimanche on se réunissait sur la place publique pour l’entendre exécuter, avec un charme tout personnel, une foule d’airs bretons formant dans sa mémoire une réserve inépuisable.

Un jour, à la fête de Paimpol, en grimpant vers le sommet d’un mât de cocagne, Lelgoualch tomba de haut sur le sol et se fractura la cuisse. Honteux de sa maladresse dont tout le village était témoin, il se releva et recommença son ascension, qu’il réussit à la force des poignets. Puis il rentra chez lui tant bien que mal, mettant toujours son point d’honneur à cacher ses souffrances.

Quand, après une trop longue attente, il fit enfin mander un médecin, le mal, terriblement développé, avait amené la gangrène à sa suite.

L’amputation fut jugée nécessaire.

Lelgoualch, averti, envisagea la situation avec courage et, ne songeant qu’à en tirer le meilleur parti, pria simplement l’opérateur de lui garder son tibia, dont il comptait faire un usage mystérieux.