Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/105

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Représentez-vous cette scène dans son formalisme étroit et sa sereine sublimité. Estimez les joies, non interrompues, encloses dans ce pieux assoupissement, dans l'accomplissement de tous les devoirs que règle l'horloge de l'église; l'influence de ces sombres tours sur tous ceux qui, depuis des siècles, ont passé à leurs pieds, qui les ont vues s'élever dans la plaine jadis boisée, et intercepter par leur masse, les derniers rayons du soleil couchant alors que la ville n'était indiquée que par une bande de brouillard au bord de la rivière...

Et maintenant, souvenons-nous que nous sommes à Venise et retournons à l'extrémité de la Galle Lunga San Moïse, qu'on peut considérer comme le pendant de la rue qui nous a conduits à la porte cochère de la cathédrale anglaise.

Nous entrons dans une allée pavée, mesurant sept pieds dans sa plus grande largeur et résonnant des cris des marchands ambulants, cris qui se terminent en une sorte de sonnerie cuivrée. Il faut nous frayer un passage à travers une cohue resserrée entre deux rangées de maisons très rapprochées. Au-dessus de nos tètes, une inextricable confusion de grossiers contrevents, de balcons de fer, de tuyaux de cheminées posées sur des corbeaux pour gagner de la place, de fenêtres arrondies dont les appuis sont en pierre d'Istrie et, par-ci par-là, une tache de feuilles vertes quand une branche de figuier passe par-dessus le mur de quelque cour intérieure et fait lever les yeux jusqu'à l'étroite bande de ciel bleu qui surmonte le tout. De chaque côté, une rangée de boutiques, serrées au possible, occupe l'intervalle des piliers de pierre carrés qui supportent le premier étage. L'un de ces intervalles est étroit et sert de porte ; le suivant est, dans les boutiques les plus considérables, boisé jusqu'à la hauteur du