Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/109

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la place, et enfin, par le mélange de la basse classe véni tienne et des groupes anglais et autrichiens. Hâtons-nous de passer au milieu d'eux pour gagner, au fond de la place, l'ombre des piliers : et alors, nous les oublierons vite, car, à travers ces piliers, la grande tour de Saint-Marc, dans une brillante lumière, surgira devant nous comme au milieu d'un champ de marqueterie : de chaque côté, des arcades sans nombre se déploient avec symétrie, comme si les maisons irrégulières du sombre passage que nous venons de traverser eussent été soudain soumises à un ordre gracieux et que leurs murs en ruines se fussent transformées en arcades couvertes de belles sculptures et en colonnes cannelées, faites en pierres choisies.

Au delà de ces rangées d'arcades, sort de terre une vision devant laquelle la grande place semble s'être ouverte en témoignage de respect et pour nous la laisser voir de loin : une multitude de piliers et de dômes blancs groupés, formant une pyramide basse et prolongée d'un ton coloré, ressemblant à un amoncellement de trésors, d'or, d'opales et de nacre sous lequel s'ouvrent cinq grands portails voûtés, lambrissés de superbes mosaïques et décorés de sculptures d'un albâtre aussi brillant que l'ambre et aussi délicat que l'ivoire. Sculptures fantastiques, enroulées de plumes et de lys, de raisins et de grenades, d'oiseaux voletant dans les branches; et reliées par un entrelac continu de bourgeons et de plumes. Au milieu, se tiennent, solennels, des anges dans leurs longues robes ; le sceptre à la main, ils s'appuient l'un sur l'autre contre les portails ; leurs formes sont rendues indécises par l'éclat d'un fond d'or apparaissant derrière eux, à travers le feuillage ; éclat interrompu et obscurci comme la lumière passant entre les branches du jardin