Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/123

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Saint-Marc. C’est par la perfection inaltérable de sa couleur que cet édifice a droit à notre respect, et un sourd pourrait aussi bien prétendre à prononcer un jugement sur la valeur d’un orchestre qu’un architecte, qui ne comprendrait que les seuls mérites de la forme, à discerner la beauté de Saint-Marc. On y rencontre cet enchantement de coloris, particulier aux constructions et aux tissus d’Orient ; les Vénitiens sont le seul peuple qui, en Europe, ait pleinement sympathisé avec ce grand instinct oriental. Ils firent venir de Constantinople les artistes qui dessinèrent pour Saint-Marc les mosaïques de ses voûtes et qui groupèrent les couleurs de ses portails ; puis, rapidement, ils surent développer, dans un style plus mâle, le système que leur avaient enseigné les Grecs. Tandis que les francs-bourgeois et les barons du Nord construisaient leurs rues sombres et leurs châteaux de chêne et de pierre friable, les marchands de Venise recouvraient leurs palais de porphyre et d’or. Plus tard même, lorsque ses peintres puissants eurent créé pour elle une couleur plus précieuse que l’or et le porphyre, Venise prodigua ce trésor sur les murs battus par les flots, et quand la haute marée pénètre dans le Rialto, elle est encore aujourd’hui rougie par les reflets des fresques de Giorgione.

Si le lecteur est insensible à la couleur, qu’il renonce donc à juger Saint-Marc, mais s’il la comprend et l’aime, qu’il se souvienne que l’architecture incrustée est la seule par laquelle la décoration chromatique puisse arriver à la perfection absolue ; qu’il considère chaque morceau de jaspe et d’albâtre comme un pain de couleur dont la violence doit être atténuée par l’enlèvement d’une épaisseur destinée à être broyée ou coupée, et qui servira à peindre les murs. Quand il aura compris cela,