Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/129

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il ne peut pas s'adresser à un confrère pour faire un échange convenant aux deux parties.

Il ne possède qu'un nombre limité de blocs de pierre ou de colonnes taillées; il ne peut s'en procurer d'autres et personne ne lui reprendra celles dont il ne se servira pas. Son seul moyen pour obtenir de la symétrie, — et nous ne désirons pas qu'il s'en serve souvent — est de rogner les plus grandes colonnes pour les rendre égales aux autres. Par conséquent, si dans un dais, dans une chapelle ou dans une chasse, cette coûteuse symétrie est nécessaire et excite une admiration proportionnée à la valeur qu'on lui accorde, il faut, en général, nous résigner à rencontrer des colonnes variées de dimension, dont l'accord imparfait peut d'ailleurs produire parfois un charme inattendu. Avoir les étranges divergences d'accent et de poids de ces marbres (dont l'architecture est toujours rigoureusement proportionnée), on éprouve la même sensation que lorsqu'on lit les œuvres lyriques de Pindare et d'Eschyle à côté des rythmes mesurés de Pope.

L'application des principes de la bijouterie aux blocs, grands ou petits, nous fournit un autre argument en faveur de l'incrustation des murs. Il arrive souvent que, dans certaines variétés d'albâtre, la beauté des veines est si puissante qu'il devient désirable de les diviser, non seulement par économie, mais surtout pour bien mettre en vue leurs méandres fantastiques. En opposant l'une à l'autre plusieurs plaques minces coupées sur le même bloc, et en rejoignant leurs bords, on obtient un ensemble symétrique qui fait mieux comprendre le dessin des veines. C'est ainsi que les albâtres sont, actuellement, employées à Saint-Marc. Du même coup, on montre au spectateur la nature de la pierre et les intentions honnêtes du constructeur, la similitude des veines prouvant que les plaques ne peuvent provenir que du même bloc. Cette