Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/197

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et chacune de ses veines, non seulement la côte qui soutient les lobes de la feuille, mais encore les veines irrégulières et sinueuses qui bigarrent les tissus membraneux : le sculpteur a pu ainsi donner à la feuille de vigne son aspect si particulier.

Comme dans toutes les sculptures primitives, les personnages sont très inférieurs aux feuillages, et cependant, certains aspects en sont si habilement rendus que j’ai hésité longtemps avant de croire que ces groupes ont été réellement exécutées dans la première moitié du XIVe siècle. Heureusement, leur date se trouve inscrite dans l’église de Saint-Siméon-le-Grand, qui renferme une figure couchée du saint, beaucoup plus belle de facture que la figure du Palais Ducal, mais pourtant si semblable à elle, qu’on ne saurait douter que Saint-Siméon inspira l’artiste qui sculpta la tête de Noé. Ce monument porte la date de 1317. Le statuaire, fier, à juste titre, de son œuvre, y inscrivit ainsi son nom :

« Celavit Marcus opus hoc insigne Romanis
Laudibus non parens est sua digna luanus. »

La tête de Noé, au Palais Ducal, évidemment travaillée avec le désir d’égaler cette statue, a la même profusion de cheveux flottants et de barbe, mais les boucles sont plus fines et plus raides ; les veines des bras et de la poitrine sont saillantes : le sculpteur était évidemment plus habitué aux belles lignes arrêtées des végétaux qu’à celles du corps humain. Aussi — ce qui est à remarquer chez un ouvrier de cette période — n’a-t-il pas su conter clairement son récit : le regret et l’étonnement sont si également peints sur les traits des trois frères qu’il est impossible de distinguer lequel est Cham.