Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/221

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Les changements dans la forme furent, cependant, la moindre partie du mal causé par les mauvais principes de la Renaissance : comme je viens de le dire, sa plus grande erreur fut d’exiger la perfection en toutes choses. Je pense avoir assez expliqué la nature du Gothique pour avoir prouvé que la perfection ne peut s’obtenir d’un ouvrier que par le sacrifice complet de sa vie entière, de sa pensée, de son énergie. La Renaissance, en Europe, estima pourtant que c’était un trop faible prix pour arriver à la perfection dans l’exécution. Des hommes tels que Ghiberti ou Verocchio ne se rencontrent pas chaque jour ni en tout lieu et, réclamer d’un ouvrier ordinaire leur talent et leur savoir, c’était simplement lui demander de les copier. La force de ces grands hommes était assez puissante pour qu’ils pussent unir la science à l’invention, la méthode à l’émotion, le fini au feu de l’inspiration ; mais, chez eux, l’invention et le feu prédominaient, tandis que l’Europe admirait surtout leur méthode et leur fini. C’était, pour l’esprit des hommes, une voie nouvelle ; ils la suivirent en négligeant tout le reste. « Nous voulons — dirent-ils — trouver ces qualités dans toutes nos œuvres » et on leur obéit. Les plus humbles ouvriers soignèrent la méthode et le fini ; en échange, ils perdirent leur âme.


Je désire, cependant, qu’il ne règne aucun malentendu sur ce que je dis, d’une façon générale, sur le mauvais esprit de la Renaissance. Dans tout ce que j’ai écrit on ne trouvera pas un mot qui ne soit profondément respectueux[1] pour les hommes puissants qui purent porter la

  1. On trouvera maintenant beaucoup de mots irrévérencieux adressés à Léonard, à Michel-Ange et à Ghirlandajo ; mais, en 1851, je commençais seulement à battre en brèche les vieux préjugés dont la poussière m’encombrait encore. Je pense que, néanmoins, le lecteur aura la justice de reconnaître avec quel soin et quelle modération j’ai fait ce pas en avant. Je n’ai, aujourd’hui, qu’à confirmer et à compléter mes jugements ; rien de réellement beau n’a été dénigré par moi dans les rangs ennemis.