Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/241

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réservant le charme et la signification des marbres précieux aux régions où on peut se les procurer.


J’ai à peine besoin d’ajouter que, si l’imitation du marbre rend confuses toutes les notions de géographie et de géologie, l’imitation du bois fait le même tort à la botanique en venant à l’encontre de toutes nos études sur la pousse de nos arbres et des arbres étrangers.

Mais ce n’est pas tout : si la pratique de l’imitation fait tort à l’instruction, elle agit de même vis-à-vis de l’art.

Il n’est pas de plus misérable occupation pour l’intelligence humaine que de reproduire les taches et les stries du marbre et du bois. Quand on se livre à un travail purement mécanique, l’esprit a encore quelque liberté de s’abstraire ; le choc du métier, l’agitation des doigts n’interdisent pas à la pensée quelque heureuse incursion dans son propre domaine ; mais l’imitateur doit penser à ce qu’il fait ; il lui faut une attention constante, un grand soin, et, à l’occasion, une habileté considérable pour accomplir un travail absolument nul. Je ne connais rien de plus humiliant que de voir un être humain, ayant bras et jambes intacts, l’apparence d'une tête et la certitude d’une âme entre les mains duquel on a mis une palette et qui n'en peut faire sortir rien d’autre que l’imitation d’un morceau de bois ! Il ne peut pas peindre, n’ayant aucune idée de la couleur ; il ne peut pas dessiner, n'ayant aucune idée de la forme ; il ne peut pas faire une caricature, n’ayant aucune veine humoristique ; il lui est impossible de faire autre chose qu’imiter les nœuds du bois ! Tout le résumé de l’application quotidienne de son imagination et de son immortalité doit être un morceau imitant ceux que le soleil et la rosée font sortir, beaucoup plus beaux, de la terre boueuse et qui étendent