Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/251

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bibliothèque sont faits pour d’autres hommes , pour d’autres travaux.

Il pourra penser ou raisonner, de temps en temps, (Quand il en aura le loisir ; acquérir les fragments de science qu’il pourra récolter sans se courber, ou atteindre sans effort, mais aucune de ces choses n’est faite pour lui. Sa vie n’a que deux buts : voir, sentir.


Mais — objectera peut-être le lecteur — un des résultats de la science n’est-il pas d’ouvrir les yeux, de leur faire apercevoir des choses qu’ils auraient ignorées si elle ne les eût fait connaître ?

Cela ne peut être dit ou cru que par ceux qui ignorent ce qu’est la faculté de vision d’un grand artiste, comparée à celle des autres hommes. Il n’y a pas un grand peintre, un grand ouvrier dans n’importe quel art qui ne découvre, dans un simple coup d'oeil, plus que ne lui en auraient appris de longues heures de travail.

Chaque homme est doué en vue de son œuvre. A celui qui doit être un homme d’étude, Dieu donne les facultés de réflexion, de logique, de déduction — à l’artiste, il donne les facultés de perception qui éprouvent et conservent les sensations. Et l’un de ces hommes serait incapable d’accomplir l’œuvre de l’autre, ni même de la comprendre.

Le travail auquel s’est livrée, depuis cinquante ans, la société de géologie vient seulement d’arriver à reconnaître la vérité concernant les formes des montagnes que Turner, encore adolescent, exprimait il y a cinquante ans, par quelques coups de son pinceau en poil de chameau. Toute la science du système planétaire ou de la courbe des projectiles ne saurait rendre un homme capable de représenter une cascade ou une vague, et tous les membres de « Surgeon's Hall » réunis ne sauraient ren-