Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/255

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augmentant en raison de leur infériorité. La philologie, la logique, la rhétorique qu’on enseigna dans les écoles, eurent un effet si pestilentiel sur leurs adeptes qu’ils finirent par croire que la connaissance des mots était le résumé de tout savoir : certaines grandes sciences, au contraire, telles que l’histoire naturelle, rendent les hommes aimables et modestes en proportion de leur juste conscience de tout ce qu’ils ignoreront toujours. Les sciences naturelles apportent l’humilité au cœur humain; toutefois, elles peuvent aussi devenir nuisibles en se perdant dans les classifications et les catalogues.

Le plus grand danger vient des sciences de mots et de méthodes et ce sont elles, justement, qui absorbèrent l’énergie de l’homme durant la période de la Renaissance. Ils découvrirent, tout à coup, que depuis dix siècles les hommes avaient vécu ingrammaticalement, et ils firent, de la grammaire, le but de leur existence. Peu importait ce qui était dit, ce qui était fait, pourvu que ce fût dit suivant les règles de l’École et fait avec système. Une fausseté émise en dialecte cicéronien ne trouvait pas d’adversaires ; une vérité énoncée en patois ne trouvait pas d’auditeurs. La science devint une collection de grammaire : grammaire de langage, grammaire de logique, grammaire d’éthique, grammaire d'art ; et la langue, l’esprit et l’imagination de la race humaine crurent avoir trouvé leur plus haute et divine mission dans l’étude de la syntaxe et du syllogisme, de la perspective et des cinq ordres.

De pareilles études ne pouvaient produire que l'orgueil ; leurs adeptes pouvaient en être fiers, mais non les aimer ; seule, l’anatomie, fortement creusée pour la première fois, représenta, à cette époque, une véritable science — à laquelle il manqua pourtant aussi l’attrait qui appelle l'affection. — Elle devint, à son tour, une source d’or-