Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/278

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se portèrent sur lui, et il fut proclamé Doge le 10 juin. » (Daru.)

5° «Le choix se porta sur Michel Morosini, noble d’une illustre race qui, contemporaine de la République elle-même, a produit le conquérant de Tyr, donné une reine à la Hongrie, et plus d’un Doge à Venise. La gloire de cette famille était ternie en la personne de son chef actuel, par une basse et rampante avarice, car, au moment, où dans la récente guerre, tous les Vénitiens offrirent leur fortune entière pour le service de l’État, Morosini chercha, dans les malheurs de son pays, une source de richesses. Il employa ses ducats, non à venir en aide à la nation, mais à spéculer sur les maisons qui se vendirent très au-dessous de leur valeur et qui, après la guerre, quadruplèrent la fortune de leur acquéreur. « Que me fait la chute de Venise si je ne tombe pas avec elle ?, » fut son égoïste et sordide réponse à quelqu’un qui lui exprimait la surprise que lui causaient ses opérations ». (Murray.)


L’auteur de cette dernière petite anecdote sans prétention n'a pas indiqué la source où il l’a puisée et je ne crois pas qu’elle s'appuie sur une autre autorité que celle de Daru. Devant l’impossibilité de dégager la vérité, j’ai écrit au comte Charles Morosini, un des rares représentants de l'ancienne noblesse vénitienne qui révère le grand nom de ses ancêtres et en qui on le révère : sa réponse m'a paru concluante quant à la fausseté des récits de Daru et de l'historien anglais. Il me semble pourtant impossible qu’un historien moderne ait inventé gratuitement une semblable accusation. Daru a dû trouver, dans les documents qu’il possédait, la trace d’un scandale de ce genre soulevé par les ennemis de Morosini, peut-être bien au moment de sa lutte électorale contre Carlo Zeno. La