Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/281

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

première apparition des Vertus, sur un monument vénitien très riche et placé en évidence, fut peut-être la réfutation apportée par le public à cette rumeur flottante. Le visage de la statue la contredit encore davantage : il est résolu, pensif, serein et plein de beauté, et il nous fait penser que, pour une fois, l’introduction des Vertus a été justifiée. Cette tombe est remarquable comme intermédiaire entre le pur Gothique et la corruption de la fin de la Renaissance entre le calme profond de la chrétienté primitive et la pompe vaine du manque de foi propre à la Renaissance. Nous trouvons encore l’humilité religieuse dans la mosaïque du dais représentant le Doge agenouillé devant la croix, tandis que la tendance à la confiance en soi-même apparaît dans les Vertus qui entourent le cercueil.


Nous retrouvons les Vertus sur le tombeau de Jacopo Cavalli, dans la même chapelle de Saints-Jean-et-Paul qui renferme le monument du doge Dolfino. Ce tombeau, très riche en images religieuses, est orné des quatre Évangélistes, vigoureusement taillés et de deux Saints. Sur la façade, s’avancent des corbeaux qui soutenaient des statues de la Foi, de l’Espérance et de la Charité, disparues maintenant, mais reproduites dans l’ouvrage de Zanotto. Paul, le sculpteur vénitien, très fier de son œuvre, inscrivit son nom au-dessus de l’épitaphe.

Jacopo Cavalli mourut en 1384. C'était un brave soldat véronais qui fut anobli par l’État pour les services par lui rendus ; il fut le fondateur de la maison des Cavalli mais je ne trouve aucune bonne raison pour que les Vertus théologales — spécialement la Charité — figurent sur la tombe à moins que ce ne soit pour ceci : au siège de Feltre, dans la guerre contre Leopold d’Autriche, il refusa de monter à l'assaut de la ville parce que le Sénat n’ac-