Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/299

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

infuser à l’Église une vie nouvelle, et non la réformer à nouveau : en un mot, on brisait simplement les haies pour que tous les passants pussent cueillir les raisins. Les réformateurs comprirent bientôt que l’ennemi n’était jamais bien loin derrière celui qui semait le bon grain, que le mauvais esprit entrerait aussi bien dans les rangs de la Réforme que dans ceux de la résistance et que, bien qu’on pût enlever l’ivraie du froment, il y avait peu d’espoir de mettre celui-ci à l’abri de la gangrène. Satan inventa de nouvelles tentations pour s’opposer à la force renaissante de la chrétienté : de même que le catholique romain, confiant dans ses professeurs humains, ne se préoccupait plus de savoir s’ils étaient véritablement les envoyés de Dieu ; de même le protestant, confiant dans l’enseignement de l’Esprit, ne s’inquiéta pas de savoir si chaque esprit était vraiment inspiré par Dieu. Alors, mille enthousiasmes, mille hérésies obscurcirent rapidement la foi et divisèrent la force de la Réforme.


Le mal le plus profond vint de l’antagonisme des deux grands partis. Aux yeux de l’incrédule, l’Église du Christ, pour la première fois depuis sa formation, eut l’aspect d’une maison en guerre contre elle-même. Non qu’il n’y eût eu déjà des schismes, mais, ou bien ils étaient restés obscurs et silencieux, cachés dans l’ombre des Alpes ou dans les marais du Rhin, ou bien, ils avaient été l’apparition d’une erreur manifeste rejetée par l’Église, erreur sans racine, ne s’étant pas, malgré sa faute, beaucoup éloignée du terrain de la vérité. Mais, cette fois apparaissait un schisme s’appuyant sur la vérité et sur l’autorité : son corps, rejeté, ne se flétrissait pas ; il lança ses rameaux dans la mer, ses branches dans la rivière, et ce fut sur le vieux tronc qu’apparurent les signes de la décrépitude.