Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/306

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grands dons de l’imagination à des sujets fictifs enleva de la valeur à la représentation de la vérité. Les Vierges et les Anges perdirent de leur vraisemblance à mesure que celle des Jupiters et des Mercures augmentait; les incidents de l’Iliade et ceux de l’Exode furent placés au même niveau de croyance. Et, à mesure que l’imagination n’étant plus soutenue par la foi, s’éteignait de plus en plus, l’habileté de facture et la science artistique grandissaient sans cesse et furent bientôt considérées comme les qualités maîtresses d’un tableau, le sujet n’étant plus chargé que de les mettre en évidence. Plus l’artiste avait de talent, moins le sujet avait d’importance et on exécutait, avec une égale indifférence, des tableaux sacrés, profanes ou sensuels qui n’étaient plus que des prétextes au développement de la couleur et de la perfection du rendu ; c’est pourquoi, dans nos musées, une Madone est placée à côté d’une Aphrodite ; une Bacchanale à côté d'une Nativité.

Ce mal eût pu être causé, dans l’esprit le plus vertueux, par l’enthousiasme classique et l’admiration artistique, mais il tomba, malheureusement, sur des esprits énervés par toutes les jouissances et poussés, par leurs plus bas instincts, à l’oubli de tout sentiment religieux. Les crimes des chrétiens complétèrent ce qu’avait commencé, contre la foi, le génie des païens ; la ruine préparée par l’étude, fut achevée par la sensualité. Les formes des déesses païennes, leur nature convenaient admirablement au goût de l’époque, et l’Europe redevint païenne, tout comme au IIe siècle.

Comme aujourd’hui, un faible noyau de croyants représentait l’Église du Christ au milieu des infidèles. Mais la différence fatale qui existe entre le IIe et le XIXe siècle, c’est qu’actuellement, les païens sont, de nom, d’élégants chrétiens, aux croyances très variées, chez qui