Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/338

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un moine est à sa droite, qui regarde gravement cette scène. Il n’y a aucune expression, aucune vie dans ce dragon, quoique son œil lance un rayon hagard ; mais l’ensemble est complètement typique : la princesse semble avoir été placée par saint Georges sur le dragon, son principal ennemi, dans une attitude victorieuse. Elle porte une riche robe rouge, mais elle manque de grâce. Saint Georges, dans son armure et sa draperie grise, nous montre un beau visage ; il se découpe en sombre sur le lointain du ciel. Il y a au palais Manfrini, une étude pour ce tableau.

Saint André et saint Jérôme. Encore moins de coloration dans ce pendant du précédent tableau. Il est presqu’uniquement brun et gris, les feuilles des figuiers et des oliviers sont brunes ; les figures brunes ; les vêtements bruns et saint Jean porte une grande croix brune. Rien ne peut s’y appeler couleur, excepté le gris du ciel qui, dans certaines places, devient presque bleu, et un unique morceau d’un rouge brique fixé dans la robe de saint Jérôme ; et pourtant Tintoret ne m’apparaît jamais plus grand que dans cette union de teintes sobres. J’aimerais mieux posséder ces deux petits tableaux bruns, le Caïn et Abel, l’Adam et Eve de l’Académie, également bruns, que tous les autres qu’il peignit avec de brillantes couleurs, pour orner les autels de Venise. Je n’ai jamais vu deux tableaux approcher, comme ceux-ci, de la grisaille, tout en étant deux morceaux d’un coloris délicieux où chaque ligne, bien qu’étudiée avec le soin le plus approfondi, garde une complète liberté.

10° Bacchus et Ariane. La plus belle des quatre œuvres du Tintoret qui occupent les angles de l’Anti-Gollegio. Jadis, une des plus belles du monde, mais aujourd’hui, misérablement ruinée par le soleil à qui on a permis de la frapper tout le long du jour. Le dessin des feuillages qui entourent la tête de Bacchus et la grâce flottante de la femme qui est au-dessus de lui, continueront à donner de l’intérêt à ce tableau — à moins qu’on ne le restaure ! Les trois autres Tintoret de cette salle sont, quoique beaux et faits avec soin, inférieurs au Bacchus. Vulcain et les Cyclopes sont une étude vulgaire d’après des modèles communs.

11° L’Europe de Paul Veronese, dans la même salle. — Un des rares tableaux qui méritent leur haute réputation.

12° Venise sur son trône, par Paul Veronese, au plafond de la