Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/41

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reuse du habile politique, Venise fut irréparablement frappée par la perte des batailles sur le Pô, à Crémone, et dans les marais de Garavaggio. La première parmi les cités chrétiennes, elle dut s'humilier devant le Turc : dans cette même année fut établie l'Inquisition d'État. De cette période date la forme de gouvernement mystérieux et perfide sous laquelle on dépeint habituellement Venise[1]. En 1477, la grande invasion turque répandit la terreur dans les lagunes, et, en 1508, la Ligue de Cambrai marque la date qu'on assigne d'habitude à la décadence vénitienne, la prospérité commerciale de la fin du XVe siècle empêchant les historiens de discerner un affaiblissement intérieur, déjà trop évident[2].

Il y a une coïncidence, apparente et significative, entre l'établissement des pouvoirs aristocratique et oligarchique et le déclin dans la prospérité de l'Etat. La question qui se pose a été résolue par chaque historien suivant ses opinions personnelles préconçues. Cette question est triple :

1° L'oligarchie, établie par l'effort des ambitions personnelles, fut-elle la cause de la chute de Venise ?

2° L'établissement de cette oligarchie ne fut-elle pas, non la cause, mais la preuve manifeste de l'énervement national ?

3° L'histoire de Venise ne doit-elle pas — cette troisième manière de voir est la mienne — être écrite sans tenir compte de la transformation de son Sénat ou des prérogatives de son Doge ?

  1. Il fut bien conçu sous cette forme : il fut assurément « mystérieux » sous certains aspects et « perfide » dans certains de ses actes. L'esprit de ce gouvernement mérite cet épithète autant que la « perfide Albion »
  2. Décadence honteusement signalée par son humiliation devant le pouvoir papal, en 1509, et son abandon du droit de nommer le clergé sur l'étendue du territoire vénitien.