Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/92

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couvent et le second porta le nom de « Palais public. » Ils datent tous les deux du xive siècle. Du troisième côté, l’église de Santa Fosca est encore beaucoup plus ancienne, sans avoir de plus vastes proportions. Quoique les piliers, qui l’entourent soient du plus pur marbre grec, et que leurs chapiteaux soient couverts de délicates sculptures, ces piliers et les arcades qu’ils soutiennent, n’élèvent pas leurs toits plus haut que celui d’une modeste étable et la première impression qui frappe le visiteur est que, quels que soient les crimes qui ont pu appeler, sur ce lieu désolé, une telle dévastation, ils n’ont pas dû avoir l’ambition pour mobile.

Cette impression ne se perd pas quand on entre dans la plus grande église à laquelle était subordonné ce groupe de constructions. Elle a évidemment été élevée par des fugitifs en détresse[1]. En la plaçant dans cette île, ils eurent un double souci : abriter leur sincère et triste adoration et ne pas attirer les regards ennemis, par trop de splendeur, tout en n’éveillant pas d’amers regrets par un trop grand contraste avec les églises qu’on leur avait détruites. On y reconnaît un effort simple et tendre pour rappeler la forme des temples qu’ils avaient aimés et pour faire honneur à Dieu en lui élevant celui-ci, bien que le malheur et l’humiliation leur défendissent toute magnificence de plan et d’ornementation. L’extérieur, à l’exception de l’entrée du côté droit et de la porte latérale, n’a aucun ornement. Les architraves de la première entrée sont sculptées et, sur la seconde, sont placées des croix richement travaillées. Les massifs contrevents de pierre des fenêtres tournaient sur des anneaux également en

  1. Une grande partie de ces jugements sont superficiels ; quelques-uns même sont erronés ; ils devraient être révisés : Aquilée, et non Torcello, fut la véritable mère de Venise. Ce chapitre est pourtant écrit dans des principes justes et vrais ; c’est pourquoi j’en laisse la plus grande partie reparaître dans cette édition.