Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/95

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pierre ; ils pouvaient servir d’appuis en cas d’attaque et font plutôt penser à un refuge de montagne qu’à la cathédrale d’une ville populeuse. À l’intérieur, deux solennelles mosaïques, aux extrémités est et ouest ; l’une représente le jugement dernier ; l’autre, la Vierge versant des larmes sur ses mains levées pour bénir. La noble rangée de piliers qui, entre ces deux tableaux, ferme l’espace terminé par le trône du pasteur et par les sièges demi-circulaires du clergé, forme, avec les mosaïques, un ensemble imposant qui exprime à la fois la profonde douleur et le courage saint de ces hommes qui n’avaient plus de refuge sur la terre, mais qui avaient une foi entière en celui qui les attendait : c’étaient bien des hommes « persécutés mais non abandonnés, abattus mais non détruits ».

Observez le choix des sujets. Il est possible que les murs de la nef et des bas côtés, aujourd’hui blanchis à la chaux, aient été jadis recouverts de fresques ou de mosaïques ; je n’ai pourtant trouvé aucune mention d’une pareille destruction et tout me porte à croire que, à l’origine comme actuellement, la division centrale de l’église était seule ornée de mosaïques. Dans nombre d’anciennes églises, on trouve des décorations montrant l’intérêt que ceux qui les construisirent portaient aux événements du monde : des symboles ou des tableaux d’incidents politiques, des portraits de personnes vivantes, des sculptures sur des sujets grotesques, satiriques ou vulgaires sont mélangés aux plus exactes reproductions d’épisodes des Écritures ou de l’histoire de l’Église. À Torcello, rien de tout cela n’apparaît ; l’esprit d’adoration est concentré sur deux grands faits : la pitié du Christ pour son Église et le futur jugement qu’il devra prononcer. Cette pitié, en ce temps-là, s’obtenait par l’intercession de la Vierge :