Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/99

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que dans la demi-heure que durera son sermon, il pourra les faire rougir de leurs péchés, les réveiller de leur sommeil mortel ; alors, nous regarderons avec d’autres yeux l’élégante friperie qui entoure la chaire d’où tombera le jugement ; nous n’y admettons pas plus la soie et l’or que nous ne supporterions des fleurs de rhétorique dans la bouche du messager : nous voulons entendre des paroles simples et nous voulons que la place d’où elles tomberont ressemble au rocher de marbre autour duquel, dans le désert, se groupait le peuple d’Israël, mourant de soif.


La sévérité de style qui distingue la chaire de Torcello est encore plus frappante dans les stalles élevées et dans le trône épiscopal qui occupe la courbe de l’abside. Ces stalles sont divisées comme dans les amphithéâtres romains, par des marches qui leur servent d’accès. Dans l’absolue simplité et le manque de confort de ces sièges — entièrement en marbre — il y a une dignité que ne sauraient atteindre des stalles garnies ou surmontées d’un dais. La place du trône épiscopal nous rappelle que l’Église primitive fut souvent représentée par un navire dont l’évèque était le pilote. Quelle force possédait ce symbole sur l’imagination de ces malheureux, frappés par un désastre dans lequel la cruauté humaine s’était montrée aussi illimitée que la terre, aussi impitoyable que la mer ! Pour eux, l’Église était bien l’arche du salut, et ils la voyaient, en réalité, s’élever comme l’arche au milieu des flots. Peut-on s’étonner que, séparés pour toujours par l’Adriatique de leur pays natal, ils se soient regardés comme les disciples se regardèrent lorsque l’orage éclata sur le lac Tibériade, et qu’ils se soient soumis, du fond du cœur, à Celui qui avait apaisé le vent et les flots ?

Et si vous voulez vous bien rendre compte de l’esprit