Page:Ryner - Le Subjectivisme, Gastein-Serge.djvu/40

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— Que veux-tu dire ?

— Repousse les paroles étrangères. Fais taire les affirmations des partis, des religions positives et des libre-pensées de troupeau. Fais taire les voix de ton pays et de ton siècle[1]. Tout cela n’est pas toi.

— Hélas ! quels grands lambeaux tu m’arraches. Ne vais-je pas me disperser tout entier ?…

— Ne crains rien. Tu ne te retranches que des pauvretés et des mensonges. Courage, mon fils. Évade-toi de la prison Aujourd’hui et de la prison Ici. Mais ne t’enferme en nulle patrie d’élection. Tu n’as de patrie que toi-même. Considère-toi sous l’aspect de l’éternité. En dehors de toute époque, en dehors de tout lieu…

— Tu demandes l’impossible.

  1. Tout à l’heure, la réponse d’hier ignorait la forme nouvelle du problème. Maintenant il faut faire taire les voix de son siècle. N’y a-t-il pas contradiction ? — Certes. Mais peut-être comme dans la souplesse changeante de la vie, comme dans la largeur flottante de la vérité. La meilleure solution d’autrefois ignorait la forme actuelle de l’immense sophisme qu’on appelle la morale. Puisque cette forme actuelle n’a d’autre but que de dérouter les hommes de bonne volonté qui adhèrent aux vieilles formules. Je ne sais si la morale progresse ; mais, à mesure qu’on la débusque d’un de ses mensonges, elle se revêt d’un autre, souple comme le Protée de la légende. — Un exemple. Quand les stoïciens eurent rendu l’esclavage odieux à toutes les demi-consciences, on inventa, pour satisfaire les demi-consciences, le servage. Aujourd’hui les demi-consciences sont heureuses et fières de la suppression du servage et le salariat, dans leur langue naïve, s’appelle liberté. — Le problème reste toujours le même : écarter les apparences. Mais les apparences varient et les problèmes semblent varier. Il est inévitable que les menteurs observent les sincères et les imitent. Dès qu’une formule de vérité a quelque succès, les habiles s’en font un masque. Malheur à celui qui, au lieu de chercher en lui-même, répète dévotement des mots qui furent nobles !