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LES MALHEURS DE SOPHIE.

Sophie eut une nuit un peu agitée ; elle rêva qu’elle était près d’un jardin dont elle était séparée par une barrière ; ce jardin était rempli de fleurs et de fruits qui semblaient délicieux. Elle cherchait à y entrer ; son bon ange la tirait en arrière et lui disait d’une voix triste : « N’entre pas, Sophie ; ne goûte pas à ces fruits qui te semblent si bons, et qui sont amers et empoisonnés ; ne sens pas ces fleurs qui paraissent si belles et qui répandent une odeur infecte et empoisonnée. Ce jardin est le jardin du mal. Laisse-moi te mener dans le jardin du bien. — Mais, dit Sophie, le chemin pour y aller est raboteux, plein de pierres, tandis que l’autre est couvert d’un sable fin, doux aux pieds. — Oui, dit l’ange, mais le chemin raboteux te mènera dans un jardin de délices. L’autre chemin te mènera dans un lieu de souffrance, de tristesse ; tout y est mauvais ; les êtres qui l’habitent sont méchants et cruels ; au lieu de te consoler, ils riront de tes souffrances, ils les augmenteront en te tourmentant eux-mêmes. » Sophie hésita ; elle regardait le beau jardin rempli de fleurs, de fruits, les allées sablées et ombragées ; puis, jetant un coup d’œil sur le chemin raboteux et aride qui semblait n’avoir pas de fin, elle se retourna vers la barrière, qui s’ouvrit devant elle, et, s’arrachant des mains de son bon ange, elle entra dans le jardin. L’ange lui cria : « Reviens, reviens, Sophie, je t’attendrai à la barrière ; je t’y attendrai jusqu’à ta mort, et, si jamais tu reviens à moi, je te mènerai au jardin