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NOTICE BIOGRAPHIQUE


jour par jour. Ses gazettes, comme elle les appelait (que de gazetiers de profession en voudraient pouvoir écrire de semblables !), étaient communiquées au cher solitaire, au vénérable Arnauld d’Andilly, et à madame du Plessis Guénégaud, qui était dans son château de Fresnes, dans le voisinage de Pomponne.

Peu nous importe, quand nous lisons ces lettres, que le coup qui frappa Fouquet ait été mérité et nécessaire. Nous laissons à l’histoire sa sévérité. L’amitié, surtout chez une femme, a le droit d’être partiale. D’ailleurs l’arbitraire, dans ce procès, gâta la justice ; l’accusé qu’on poursuit avec un injuste acharnement, en supprimant les pièces, en corrompant et intimidant les juges, ne peut plus inspirer que la pitié. Quand madame de Sévigné soulève notre indignation contre le chancelier Séguier, contre Pussort, contre Colbert lui-même, contre toutes ces vengeances rudes et basses, elle n’abuse pas ; de la séduction qu’exerce facilement un esprit tel que le sien. L’illégalité, la violence, la haine et les bassesses, à quelque œuvre qu’on les fasse servir, ne sont jamais injustement flétries ; et l’on aime à sentir imprimer par la main d’une femme cette flétrissure à l’iniquité des puissants.

Madame de Sévigné ne se contenta pas d’exprimer, dans ces lettres, ses angoisses, son indignation, sa sympathie. Elle fit plus pour l’amitié. Avant même l’ouverture des débats, Olivier le Fèvre d’Ormesson, un des juges rapporteurs du procès, qui lui était attaché par des liens d’amitié et de parenté, l’entendit plus d’une fois plaider devant lui la cause du surintendant. Dès le mois d’avril 1665, il avait à se défendre contre l’accusation de se laisser gouverner par madame de Sévigné en faveur de Fouquet[1]. Il dit, il est vrai, dans son Journal, « qu’il repoussa ces sottises avec mépris. » Il paraît en effet avoir rempli ses devoirs en homme honnête et intègre. Mais s’il ne fit rien pour complaire à madame de Sévigné, il l’entendit du moins. « M. d’Ormesson , dit—elle dans sa lettre à Pomponne du 5 décembre 1664, m’a priée de ne le plus voir que l’affaire ne soit jugée ; il est dans le conclave, et ne veut plus avoir de

  1. Extraits des Mémoires de d’Ormesson, dans la thèse de M. Chéruel, p. 219 et 220.