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NOTICE BIOGRAPHIQUE


cesse de Tarente, dont le cœur était comme de cire : « Je ne crois pas, disait-elle, qu’elle ait eu assez de loisir pour aimer sa fille, au point d’oser se comparer à moi. Il faudroit plus d’un cœur pour aimer tant de choses à la fois. Pour moi je m’aperçois tous les jours que les gros poissons mangent les petits. Si vous êtes un préservatif, comme vous le dites, je vous suis trop obligée, et je ne puis trop aimer l’amitié que j’ai pour vous. Je ne sais de quoi elle m’a gardée, mais quand ce seroit de feu et d’eau, elle ne me seroit pas plus chère[1]

C’est à dessein que jusqu’ici nous avons tenu dans l’ombre ces deux enfants de madame de Sévigné, qui ont été, pendant sa jeunesse, les gardiens de son chaste foyer de veuve. Nous avons voulu laisser passer les profanes. Il nous faut même, avant de commencer le récit d’une vie d’amour maternel, en finir à peu près avec le plus profane entre ces profanes. Nous tâcherons de ne plus le rencontrer ensuite que très-incidemment, ce qui sera facile, parce que son rôle finit par s’effacer de plus en plus dans l’histoire de madame de Sévigné, et qu’il n’y reparaît plus que par intervalles, quand on trouve le loisir de renouveler avec lui, de loin en loin, quelque brillant tournoi d’esprit. Il fut de bonne heure dévoré par les gros poissons. Revenons donc pour un moment à Bussy.

Dans les intervalles de ses campagnes, et quand il lui était possible de se retrouver près de sa belle cousine, prouvant par son exemple la vérité de son joli mot, que l’amour est un recommenceur, il n’avait pas cessé, au milieu de beaucoup d’autres distractions, de recommencer ses galantes tentatives. Elles n’avaient pas eu un meilleur succès. Mais son esprit, que madame de Sévigné goûtait beaucoup et par lequel elle sentait le sien excité, et ce faible de la parenté, qu’elle appelait le Rabutinage, avaient toujours maintenu entre eux une très-bonne intelligence. Leur correspondance, quand ils étaient éloignés l’un de l’autre, était un des grands plaisirs de madame de Sévigné. Personne ne lui donnait mieux la réplique que Bussy, n’était mieux fait pour tirer l’étincelle de son esprit, pour provoquer ses vives railleries, pour y applaudir en fin connaisseur, et pour renvoyer trait pour trait. Il y a tout un côté de cet es-

  1. Lettre du 13 novembre 1675.