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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


rité, qui lit cette correspondance, n’y trouve matière à aucun soupçon fâcheux. Il est vrai seulement que Bussy abusait de la facilité trop indulgente avec laquelle sa cousine, ainsi qu’il le remarque dans son Histoire amoureuse, « recevoit tout ce qu’on lui vouloit dire de libre, pourvu qu’il fût enveloppé. » Il n’enveloppait même pas toujours assez, et la crudité de ses plaisanteries a souvent effrayé les éditeurs des lettres de madame de Sévigné. Quelquefois donc un peu trop de complaisance à souffrir les licences de son badinage et à y répondre, et toujours beaucoup de goût pour son esprit, voilà ce qu’on trouve dans ce qu’elle lui écrivait, mais nullement un tendre penchant. Il ne s’était pas conduit avec elle de façon à lui inspirer même de l’estime. Et à qui en pouvait-il inspirer, depuis sa disgrâce si mal supportée ? Quand il écrivait à madame de Sévigné « qu’il embrasserait si souvent les genoux du roi qu’il irait peut-être jusqu’à sa bourse, » il devait par un tel cynisme, révolter la noble délicatesse de son cœur. Elle n’était pas le moins du monde aveuglée sur ses vices ni sur ses ridicules. Quoiqu’elle répondît à ses doléances d’ambitieux frustré et à ses vanteries avec cette complaisance qui a toujours été, il faut bien l’avouer, excessive chez elle ; sous cette approbation qui le flattait, si, tout fin qu’il était, il ne voyait point percer la raillerie, c’était bien sa faute. Souvent c’est quand elle entre le mieux dans ses sentiments de vanité, qu’elle se moque le plus. Croirons-nous, par exemple, que si elle n’avait pas voulu rire de lui, elle aurait si plaisamment renchéri sur ses dédains pour Racine et Boileau, devenus tous deux historiographes du roi ? « Ah ! que je connois un homme de qualité à qui j’aurois bien plutôt fait écrire mon histoire qu’à ces bourgeois-là, si j’étois son maître[1]. » Et il n’est pas rare qu’elle se moque de lui plus ouvertement encore. Elle lui écrit un jour : « J’ai vu une lettre à un de vos amis, par laquelle il me paroît que vous êtes bien content de Dieu ; il me semble que vous en parlez comme d’un ami qui en a bien usé avec vous... Tout l’Évangile commande l’humilité et l’abaissement, et vous ferez si bien qu’il vous permettra de conserver votre hauteur[2]. » Une autre fois qu’il lui avait envoyé quelques vers qui ne lui

  1. Lettre du 3 novembre 1677.
  2. Lettre du 28 décembre 1681.