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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


taille, son visage agréable, sa galanterie avaient fait surnommer le charmant.

Dans ce ballet, Benserade avait composé les vers suivants pour mademoiselle de Sévigné :


Vous travestir ainsi, c’est bien être ingénu,
Amour ! c’est comme si, pour n’être pas connu,
Avec une innocence extrême,
Vous vous déguisiez en vous-même.
Elle a vos traits, vos feux et votre air engageant,
Et, de même que vous, sourit en égorgeant.
Enfin qui fit l’une a fait l’autre ;
Et jusques à sa mère, elle est comme la vôtre[1].


Comment madame de Sévigné n’aurait-elle pas eu un peu de partialité pour celui qui louait ainsi et la fille et la mère, pour ce bel esprit, fort agréable après tout, sorte de Watteau de notre poésie, qui n’était pas fait pour ennoblir, comme Racine, la galanterie du grand roi, mais pour la décorer de son badinage maniéré et coquet, ainsi qu’il convenait alors, dans la première gaieté de ces années plus libres et moins solennelles ? Ce n’est pas qu’il n’y eût un excès de faveur, quand elle disait : « On ne fait pas entrer certains esprits durs et farouches dans le charme et dans la facilité des ballets de Benserade et des fables de la Fontaine. Cette porte leur est fermée, et la mienne aussi[2]. » Nommer Benserade à côté de la Fontaine, même sans établir expressément une comparaison, c’est trop ; et s’il se trouvait quelqu’un qui condamnât le beau feu et les vers de Benserade, nous ne penserions pas « qu’il n’y eût plus qu’à prier Dieu pour un tel homme et qu’à souhaiter de n’avoir point de commerce avec lui. » Mais chacun de ces vers, qui n’étaient plus pour Boileau, quelques années plus tard, que des vertugadins hors de mode, avait pour madame de Sévigné conservé la fraîcheur des plus doux souvenirs, et comme gardé une image des fêtes enivrantes où la belle Madelonne avait brillé, et de ses divins menuets. D’ailleurs ce que Bussy dit aussi du génie singulier de Benserade[3], montre que

  1. Œuvres de M. de Bensserade, tome II, p. 280.
  2. Lettre à Bussy, 14 mai 1686.
  3. Lettre à l’abbé Furetière.