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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


écrit par lui à M. de Grignan , une de ses lettres fait voir qu’il céda. Il disait à madame de Sévigné : « Vous avez raison de la même chose où tout le monde auroit tort. Comptez-moi cela, il en vaut bien la peine[1]. »

Ce charme irrésistible qui triomphait de Bussy, M. de Grignan le sentit bientôt à son tour. Il y avait à le faire agir sur lui un intérêt bien plus grand et des difficultés très-délicates. Il s’agissait pour madame de Sévigné de ne pas se laisser déposséder du cœur de sa fille, sans inquiéter les droits du mari, de la garder quelque temps encore auprès d’elle, sans le blesser, lorsque la séparation fut devenue inévitable ; d’échapper, en ménageant son gendre, en gagnant sa confiance et son amitié, à ces vulgaires écueils où tant de belles-mères, égarées par l’amour maternel, viennent briser leur bonheur et celui de leurs filles.

Quand mademoiselle de Sévigné s’était mariée, on s’était flatté que M. de Grignan ne s’éloignerait guère de la cour. Il pouvait y espérer une charge. En tout cas, son titre de lieutenant général en Languedoc ne devait pas l’obliger souvent à aller dans un gouvernement militaire, qui avait deux autres lieutenants généraux, et, au-dessus d’eux, un gouverneur général. Madame de Sévigné ne jouit pas, une année entière, de cette sécurité. Le 29 novembre 1669, le comte de Grignan fut nommé lieutenant général en Provence. Ce n’était plus comme en Languedoc. Le duc de Vendôme, qui avait succédé à son père, comme gouverneur de cette province, avait alors treize ans. On pense bien qu’il n’avait reçu qu’un titre sans fonctions. En son absence, le baron d’Oppède, premier président du parlement, était provisoirement, et à un titre peu légal, chargé du gouvernement. À côté de son autorité on avait laissé, moins légalement encore, s’établir l’influence de l’évêque de Marseille. Il était nécessaire et urgent que M. de Grignan allât s’établir en Provence et fît cesser un intérim qui avait duré trop longtemps. Sa présence pouvait seule mettre un terme à de fâcheuses contestations entre l’autorité royale et le parlement de la province, auquel, dans un pays d’états, le gouvernement aurait dû être remis pendant cette vacance.

  1. Lettre du 12 août 1669.