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NOTICE BIOGRAPHIQUE


pardonner un style ennuyeux[1]. Mais, au milieu d’une scène pathétique, lorsque les premiers rôles sont dans les larmes, ne nous arrêtons pas au confident. Quand madame de Sévigné vit monter sa fille dans le carrosse de d’Hacqueville, elle était tellement éperdue de douleur, qu’elle était capable, dit-elle, de se jeter par la fenêtre. Dès que ses regards ne purent plus suivre la voiture, qui emportait son cœur et son âme, elle courut, « toujours pleurant et toujours mourant, » à Sainte-Marie, comme dans un cher refuge de son affliction. Elle y resta cinq heures, sans cesser de sangloter. Puis elle alla se jeter dans les bras de madame de la Fayette et lui demander les consolations de son amitié. Le soir seulement elle rentra dans sa maison vide, et lorsque, dans la chambre de sa fille, elle retrouva tout démeublé, tout en désordre, et la petite Marie-Blanche, qui seule y représentait sa mère, ce fut une nouvelle explosion de désespoir[2].

De ce moment commença cette correspondance presque de chaque jour, ou l’on retrouve tout l’esprit, tous les agréments, tous les tons variés des autres correspondances de madame de Sévigné, mais aussi, dans l’inépuisable expression de sa sensibilité, une éloquence passionnée qui n’est que là. Retranchez ces lettres à madame de Grignan, madame de Sévigné reste encore un incomparable modèle dans l’art de ces entretiens familiers que fixe l’écriture : on a son style, sa grâce, son enjouement, sa finesse, son imagination ; mais son âme, on n’en a plus même la moitié.

Eh quoi ! de Caron pas un mot ! pourrait nous dire le baron de Sévigné, suivant le vieux dicton que sa mère citait souvent. Madame de Grignan a tenu tant de place dans la vie et dans les affections de madame de Sévigné, que nous croyons être excusable d’avoir laissé son frère un peu en arrière. En le faisant passer le dernier, nous avons suivi l’ordre que nous indiquait sa mère. Ce n’est pas qu’elle ait manqué de tendresse pour lui ; et nous verrons qu’il en méritait beaucoup. Mais il y a des amitiés si fortes et si envahissantes, que, si elles n’étouffent pas les autres, elles ne leur laissent pas du moins

  1. Madame de Sévigné perdit cet excellent ami le 31 juillet 1678.
  2. Lettre à madame de Grignan, 6 février et 3 mars 1671.