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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


son portrait, « touché par aucun plaisir autant que par la conversation des honnêtes gens, et qui aimait mieux celle des femmes que celle des hommes, quand elles avaient l’esprit bien fait. »

D’autres amis, extrêmement chers aussi à madame de Sévigné, qu’elle voyait beaucoup, à qui elle écrivait souvent, et dont elle aimait les lettres, étaient le petit Coulanges et sa femme. Les liens du sang, les souvenirs d’enfance, l’agrément d’un commerce enjoué, tout avait contribué à former cette amitié et ne la laissa jamais s’affaiblir. Personne n’a mieux parlé du petit Coulanges que Saint-Simon. Lorsqu’au milieu des lettres de madame de Sévigné on a vécu un peu familièrement avec ce gentil épicurien, on le reconnaît trait pour trait dans le portrait achevé du grand peintre. Il était impossible de mieux saisir sur le vif cette chose légère, de lui faire la part belle avec plus d’équité et de goût. Nous regretterions le temps que nous emploierions en vain à gâter cette page en la décalquant faiblement. Il vaut mieux tout simplement la transcrire ; si nous économisons notre peine, le lecteur y gagnera plus encore que nous :

« C’étoit un très-petit homme, gros, à face réjouie, de ces esprits faciles, gais, agréables, qui ne produisent que de jolies bagatelles, mais qui en produisent toujours et de nouvelles et sur-le-champ, léger, frivole, à qui rien ne coûtoit que la contrainte et l’étude, et dont tout étoit naturel. Aussi se fit-il justice de fort bonne heure. Il se défit d’une charge de maître des requètes[1], renonça aux avantages que lui promettoient sa proche parenté avec M. de Louvois et ses alliances avec la meilleure magistrature, uniquement pour mener une vie oisive, libre, volontaire, avec la meilleure compagnie de la ville, même de la cour, où il avoit le bon esprit de ne se montrer que rarement,

  1. Son père lui avait acheté, en 1657, une charge de conseiller au parlement de Metz ; en 1659, une charge de conseiller au parlement de Paris. Il devint, en 1672, maître des requêtes. Le souvenir qui est resté de ses fonctions de magistrat, est cette petite anecdote : il rapportait une affaire où il s’agissait d’une mare, objet de litige entre deux paysans, dont l’un se nommait Grapin. Il s’embrouilla dans l’exposé de l’affaire, et saluant les juges : « Pardon, messieurs, leur dit-il, je me noie dans la mare à Grapin, et je suis votre serviteur. »