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NOTICE BIOGRAPHIQUE

Le petit Emmanuel de Coulanges avait deux sœurs, dont l’une, Marie-Madeleine de Conlanges, fut mariée à M. d’Harouys, trésorier des états de Bretagne, l’autre, Anne-Marie de Coulanges, au comte de Sanzei. Madame de Sévigné, qui fut très-liée avec d’Harouys, ne parle point de sa femme ; ce qui s’explique aisément, puisqu’elle mourut en 1662, et qu’on a peu de lettres de madame de Sévigné antérieures à cette époque. Quant à la jolie petite comtesse de Sanzei, il en est souvent question dans ses lettres, surtout dans celles de 1675. Son mari avait disparu, le 11 août de cette année-là, dans le désastre de Consaarbrück. Madame de Sévigné se montra fort touchée de l’affliction de sa cousine, et chercha à lui donner toutes les consolations de l’amitié[1].

Il y a, parmi les amis les plus intimes de madame de Sévigné, une figure qui reste pour nous un peu obscure et indistincte. C’est celle de Corbinelli : philosophe équivoque, chrétien équivoque, en toutes choses, ce nous semble, caractère équivoque ; homme d’esprit, dit-on, mais cela ne se voit pas du premier coup d’œil. Cependant il ne faut pas trop se hâter. S’il n’y avait que le dictionnaire de Somaize qui eût parlé de la finesse de son esprit, ce ne serait peut-être pas très-embarrassant. Mais quand madame de Sévigné dit : « Son esprit est fait pour plaire au mien... Je perds la joie et la douceur de ma vie en le perdant[2], » on se sent tout autrement arrêté. Il ne semble pas que ce soit là un compliment banal. Nous savons bien qu’il est là, à côté d’elle, et qu’il va sans doute lire sa lettre, puisqu’il ajoute quelques mots d’apostille. Néanmoins nous trouvons ailleurs qu’elle vante son esprit ; et elle s’y connaissait si bien, elle avait, pour en juger, à la fois tant de compétence et tant d’occasions que nous n’avons pas, qu’il est trop juste de se méfier de soi, quand on ne se sent point frappé du mérite de Corbinelli[3]. Il y avait peut-être dans

  1. Lettre à madame de Grignan, 4 septembre 1675.
  2. Lettre à Bussy 17 juin 1676.
  3. Il est à remarquer aussi que Bussy, dans le passage de ses Mémoires que nous allons citer, l’appelle : « ce gentilhomme d’esprit et de mérite, » et madame de la Fayette, dans l’Histoire de madame Henriette d’Angleterre, « un garçon d’esprit et de mérite. au On peut dire sans doute que Bussy était indulgent pour un homme qui le flagornait, et que madame de la Fayette avait trop entendu vanter l’esprit de Corbinelli, dans la société de madame de Sévigné, pour n’y pas croire un peu. Ce sont là toutefois des suffrages. D’un autre côté, M. Cousin (Madame de Sablé, première édition, p. 422), dit : « Il n’y a pas jusqu’à Corbinelli dont madame de Sévigné ne fasse quelque chose, et en vérité ce n’était rien. » Voilà un juge aussi. Faut-il s’en rapporter davantage aux contemporains, parce qu’ils ont pu mieux connaître, ou moins, parce qu’ils ont pu être plus aisément prévenus ?