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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.

fort lié avec Corbinelli, et ils se disputaient plaisamment comme deux rivaux jaloux, qui prétendaient l’un et l’autre régner sans partage dans le cœur de madame de Sévigné. Il est probable que madame de Sévigné avait commencé à le connaître dans le premier voyage qu’elle fit en Provence. Elle l’y avait vu à Grignan, et se souvenait d’une bonne partie faite avec lui à cette grotte de Rochecourbières, voisine du château de sa fille et dont ses lettres parlent si souvent. Il paraît que le magistrat s’y déridait beaucoup et y disait mille folies, pour lesquelles on l’aimait autant que pour ses sagesses. C’est à cette gaieté sans doute qu’il dut le nom de scélérat, que madame de Sévigné lui donnait. Aux souvenirs de Rochecourbières elle associe fréquemment celui de Livry, où le président avait passé quelque temps chez elle, aimable et de belle humeur comme à Grignan. Toutefois, à un certain ton de politesse et de déférence mêlé aux plaisanteries familières, dans les lettres que madame de Sévigné lui écrit, on reconnaît bien que ce n’est pas là un ami de très-ancienne date ni d’une habituelle intimité.

Il manque sans doute bien des noms à cette revue des amitiés de madame de Sévigné, qui, en s’étendant trop, deviendrait une sèche nomenclature et ressemblerait à une table des matières. Mais, en fermant la liste, nous ne pouvons tout à fait passer sous silence, dans la plus étroite intimité de madame de Sévigné, madame de Lavardin, mademoiselle de Méri, madame de la Troche. Lorsque madame de Sévigné eut perdu madame de Lavardin, en 1694, elle parlait d’elle à madame de Guitaut comme de la première de ses amies, sur le même rang que madame de la Fayette ; et dans une lettre qu’elle écrivait quelques années plus tôt à M. de Coulanges, elle disait, au sujet d’une maladie très-alarmante de cette même dame, qu’elle était son « intime et ancienne amie ; » elle la nommait « cette femme d’un si bon et si solide esprit, cette illustre veuve, qui nous avoit toutes rassemblées sous son aile[1]. » Il y a dans ces expressions la trace d’une amitié mêlée de respect, et un souvenir de protection, que ne font pas assez connaître les autres passages des lettres où il est question de la marquise de La-

  1. Lettre du 10 avril 1691.