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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


être qu’elle prend sa règle de foi ? Ne nous hâtons pas. Dans une vive imagination de femme il passe bien des idées ; et le vent ne souffle pas toujours du même côté. « Vous lisez donc saint Paul et saint Augustin, écrit-elle un jour à sa fille ; voilà les bons ouvriers pour rétablir la souveraine volonté de Dieu. Ils ne marchandent point à dire que Dieu dispose de ses créatures, comme le potier ; il en choisit, il en rejette. Ils ne sont point en peine de faire des compliments pour sauver sa justice ; car il n’y a point d’autre justice que sa volonté : c’est la justice même[1]... etc. » Tout cela, si nous ne nous trompons, se peut dire sans trop de témérité ; mais l’idée que madame de Sévigné se faisait de la justice de Dieu n’était pas, ce nous semble, absolument la même tout à l’heure. Dans la même lettre, à propos de la conversion de madame de la Sablière, elle dit : « Voilà la route que Dieu avoit marquée à cette jolie femme ; elle n’a point dit les bras croisés : J’attends la grâce : mon Dieu, que ce discours me fatigue ! Eh ! mort de ma vie ! la grâce saura bien vous préparer les chemins... Tout sert, tout est mis en œuvre par ce grand ouvrier, qui fait toujours infailliblement tout ce qu’il lui plaît. Comme j’espère que vous ne ferez pas imprimer nos lettres, je ne me servirai point de la ruse de nos frères pour les faire passer. » Ce n’est point la seule fois qu’il lui prend envie d’aller plus loin que nos frères, et de les trouver trop circonspects : « Nos frères disent bien, et concluent mal : ils ne sont pas sincères[2]. » Et ailleurs : « Vous voyez comme il (Nicole) nous représente la volonté de Dieu souveraine, faisant tout, disposant de tout, réglant tout ; je m’y tiens : voilà ce que j’en crois ; et si, en tournant le feuillet, ils veulent dire le contraire, pour ménager la chèvre et les choux, je les traiterai sur cela comme ces ménageurs politiques ; ils ne me feront pas changer, je suivrai leur exemple ; car ils ne changent pas d’avis pour changer de notes[3]. » Elle voulait convaincre madame de Grignan d’héresie, et l’accusait d’être pélagienne. Pour elle, sur la doctrine de Dieu caché (Deus absconditus) elle ne demeurait pas en arrière de Pascal. « Si vous me demandez

  1. Lettre du 14 juillet 1680.
  2. Lettre à madame de Grignan, 16 juillet 1677.
  3. Lettre à madame de Grignan, 25 mai 1680.