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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


décembre précédent, il fût retourné à l’armée. Ce mal, d’ailleurs assez léger, ne passait auprès des médisants, de même que son rhumatisme, que pour un prétexte dont se couvrait sa paresse ; tous les efforts de sa mère pour présenter son apologie ne faisaient que blanchir. Elle était obligée de reconnaître qu’il est toujours fâcheux d’avoir à se justifier sur certains chapitres : « Je trouve, disait-elle, la réputation des hommes bien plus délicate et blonde que celle des femmes. » Le roi lui-même, à qui l’on avait mal parlé de Sévigné, avait fait entendre des paroles sévères [1]. La Trousse écrivait au baron : « Venez, venez boiter avec nous. » Il se préparait donc à partir, quoique son talon lui permit difficilement de monter à cheval, et il renonçait à son projet d’aller se guérir aux eaux de Bourbon. Mais il ne se hâtait pas trop. Il n’avait plus cependant à gémir sur son guidonnage sans fin. Après avoir passé par le grade d’enseigne, il avait alors la sous-lieutenance des gendarmes-Dauphin. La Fare lui avait vendu cette année sa charge, au prix de quarante et un mille écus ; et, comme M. de la Trousse venait d’être nommé lieutenant général, Sévigné se trouvait avoir le commandement de sa compagnie : grand encouragement, s’il eût eu un peu plus de goût au métier. Mais, avec son caractère léger, il préférait le plaisir, et prolongeait volontiers son congé, pour se livrer à des distractions qu’il avait toujours beaucoup trop aimées. Son talon ne l’empêchait pas de courir les aventures. Entre autres intrigues de ce temps-là, il y en a une avec madame du Gué Bagnols, sœur de madame de Coulanges, intrigue qui fut surprise par le mari et qui aurait pu tourner au tragique, sans l’adresse de Sévigné à remettre le bandeau sur les yeux de celui qu’il trompait. Sa mère, qui contait tout cela à madame de Grignan, lui écrivait : « Vous auriez bien ri, si vous aviez su le détail de cette aventure. » C’est pour le coup qu’il n’y a « nul air de maternité. » De pareils traits restent comme une grave accusation contre les mœurs du temps. Voilà un bon et honnête jeune homme qui ne se fait aucun scrupule d’une trahison, parce que c’est une trahison galante, et sa mère, femme

  1. Lettre de madame de Sévigné à madame de Grignan, 3 juillet 1677.