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NOTICE BIOGRAPHIQUE


l’année 1679, crut le moment plus favorable que jamais. Elle pria donc madame de Marbeuf de lui chercher une Bretonne. Mais le baron faillit faire lui-même son choix ; et, d’après ce qu’en dit madame de Sévigné, ce choix n’était pas bon. Il était devenu amoureux d’une demoiselle de la Coste, qu’il se mit à suivre à Rennes et en Basse-Bretagne. Elle avait plus de trente ans, était sans beauté et sans fortune. Le père trouvait lui-même que ce mariage n’était point convenable pour lui, et l’écrivait franchement à madame de Sévigné. Ce goût fichu de son fils, comme elle disait, la contrariait vivement ; et elle déclarait que s’il faisait cette belle équipée, elle ne signerait pas à son contrat. Cette malheureuse fantaisie gâtait tout le bon effet des succès brillants du pauvre baron aux états. Tout le monde le blâmait dans la province. Il y a des fortunes, ou, pour mieux dire peut-être, des caractères qui sont ainsi. Que d’esprit, quelle amabilité, quelle bonté de cœur, que de moyens de succès chez le fils de madame de Sévigné ! à l’armée même, quelle honorable conduite dans les occasions ! De lui aussi l’on aurait pu dire que toutes les fées, conviées à sa naissance, l’avaient comblé des meilleurs dons, mais qu’une, ayant été oubliée, les avait tous rendus inutiles. Cette mauvaise fée était l’extrême légèreté de sa tête, et la faiblesse de son caractère. Nulle suite en rien, nulle ambition, nul calcul, même dans la mesure où l’ambition est permise, et où le calcul est sagesse ; il ne semblait jamais suivre que sa fantaisie. Au milieu de sa capricieuse mobilité, ce qui du moins ne variait pas, c’était la bonté de ses sentiments, son amitié sincère pour sa sœur, sa tendresse pour sa mère. Il rassurait celle-ci de son mieux sur la sottise qu’elle craignait tant de lui voir faire. Il lui demandait pardon des peines qu’il lui causait, et lui écrivait, pour son excuse, qu’il y avait en lui deux hommes, un lui qui adorait sa mère, un second lui qui l’étranglait, et que ces deux Sévigné se livraient, aux Rochers, des combats à outrance. Il s’était, pendant quelque temps, tristement renfermé, comme un ermite, dans cette solitude des Rochers. Là il pensait beaucoup à cette bonne mère, et racontait lui-même que le premier soir qu’il s’y trouva seul, dans les chambres qu’elle occupait d’ordinaire avec ses clefs qu’on lui avait données, « il fut saisi d’une pensée si funeste, et que cela ressemblait tellement à une chose qui