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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


par les ministres à M. de Grignan ; elle venait de voir la Bretagne se débattre contre une fiscalité odieuse, et M. de Chaulnes aux prises avec le désespoir d’un pays ruiné. Elle écrivait à sa fille : « J’ai toujours la vision d’un pressoir que l’on serre jusqu’à ce que la corde rompe. » Mais elle fut bientôt délivrée de son inquiétude. Le 25 novembre, tandis qu’elle se promenait dans ses allées de Livry, on vint lui annoncer que l’assemblée avait docilement voté huit cent mille livres, et que madame de Grignan devait être déjà en route pour Paris. Dans sa joie, elle ne plaignit pas beaucoup la Provence : « Voilà qui est fort bien, dit-elle, notre pressoir est bon ; il n’y a rien à craindre, il n’y a qu’à serrer, notre corde est bonne. » Tout était au gré de ses souhaits. Madame de Vins s’était chargée d’obtenir le congé de M. de Grignan ; et le roi, à qui madame de Sévigné avait fait demander pour son gendre, par M. de Pomponne, une gratification de cinq mille francs déjà plusieurs fois accordée, se trouvant favorablement disposé par la nouvelle du don de huit cent mille livres, avait répondu en riant : « On dit tous les ans que ce sera pour la dernière fois , » et avait signé l’ordonnance.

Le 22 décembre 1676, madame de Grignan était près de sa mère. M. de Grignan, s’il n’arriva pas en même temps qu’elle à Paris, ne tarda pas à venir l’y retrouver. Ce fut avec lui qu’elle repartit au commencement de juin 1677.

Le bonheur de madame de Sévigné fut bien troublé, pendant cette courte visite de cinq mois que lui fit sa fille. La séparation vint beaucoup plus tôt qu’on ne l’avait projeté ; mais elle était nécessaire ; il n’était pas possible de demeurer plus longtemps ensemble. Ce n’est pas chose aisée que de bien comprendre ce qui s’était passé. Il y avait eu d’intolérables déchirements, auxquels il avait fallu mettre fin, en se quittant, et dont l’excès d’affection paraît avoir été la véritable cause. Cette exagération de tendresse se montra-t-elle cette fois de part et d’autre ? Plusieurs passages des lettres de madame de Sévigné peuvent le faire croire. Elle y explique les dragons de madame de Grignan par les inquiétudes chimériques, les craintes inutiles que lui donnait la santé de sa mère : « Tout cela rouloit sur le soin de ma santé, dont il faut vous corriger. » S’il en était ainsi, il est singulier que madame de Sévigné fût obligée de rassurer sa fille, après son départ, sur un autre reproche qu’elle se fai-