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NOTICE BIOGRAPHIQUE


les sages économies d’une bonne mère de famille. La, elle continuait à avoir les yeux sur les intérêts de sa fille, à l’avertir des dangers de ses prodigalités insensées, à songer aux moyens de l’amener enfin pour toujours à Paris. Dans la plus belle de ses allées, qu’elle appelait la Solitaire, elle formait ces agréables plans d’une réunion qui ne finirait plus. C’était là, disait-elle, que, dans ses rêves, elle donnait à M. de Grignan la belle place de premier maître d’hôtel du roi[1]. On se rappelle qu’elle l’avait espérée lorsque le maréchal de Bellefonds voulait s’en démettre. Sanguin, qui depuis l’avait achetée du maréchal, venait de mourir. Il semblait à madame de Sévigné que rien n’était plus souhaitable pour M. de Grignan que cette charge ; elle disait que c’était la seule « où l’on pût rétablir ses affaires, en mangeant aussi bien que le roi. » Pour faire entrer peut-être son gendre et sa fille dans ses vues, il eût fallu que le bruit fort répandu, au moment de son départ pour la Bretagne, de la prochaine arrivée de Vendôme en Provence, prît de la consistance. Il s’affaiblissait au contraire. Les Grignan s’en félicitaient ; mais madame de Sévigné pensait bien autrement. Elle leur avait déjà déclaré qu’elle ' 'se consolerait de leur éclipse ; et maintenant elle leur disait : « Si M. de Vendôme n’alloit pas en Provence, le bien qui vous en reviendroit est si peu comparable à la dépense que vous faites, dès que vous repassez la Durance (elle voulait dire, sans doute : dès que vous allez à Aix), que je pense qu’il vaudroit autant que cela fût fini ; j’espère que la Providence tournera votre destinée d’une autre manière[2]. »

Madame de Sévigné est fort touchante lorsqu’elle rêve ainsi, dans ses grands bois des Rochers, sur la fortune de sa fille. Mais dans les affections démesurées, tout n’est pas également digne d’admiration. À côté des bonnes pensées, il s’en glissait de moins louables dans ce cœur trop livré à une seule passion. Elle laissait envahir son âme, naturellement si bonne et si juste, par l’égoïsme, par celui, hâtons-nous de le dire, qu’on n’appelle peut-être ainsi qu’improprement, par cet égoïsme à deux, qui nous ferait sacrifier le monde entier, non pas à nous-mêmes, mais à la personne aimée. C’est un spectacle triste et digne de

  1. Lettre du 8 septembre 1680.
  2. Lettre du 1er septembre 1680.