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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


à charge à cette âme que Dieu appelait ? Il se peut ; mais ce départ clandestin n’indique pas que mademoiselle de Grignan trouvât dans la maison de sa belle-mère ni le bonheur ni rien de ce qui inspire la confiance. Elle alla se jeter dans l’abbaye de Gif, voisine de Chevreuse. Elle ne s’y trouva pas bien, et en voulut sortir l’année suivante. Madame de Sévigné écrivit alors, à son sujet, des paroles où l’on aime à la retrouver : « Je vous approuve fort de souhaiter de la ravoir chez vous, comme le bonheur de votre maison et l’édification de toute votre famille. Ne pourriez-vous faire dire à cette sainte fille que je l’honore toujours infiniment ? J’ai eu si longtemps le bonheur de vivre avec elle, que je voudrois bien n’en être pas oubliée entièrement[1] » Quelques mois plus tard, au commencement de 1686, mademoiselle de Grignan entra aux grandes Carmélites du faubourg Saint-Jacques, et y prit l’habit le 3 mai. Très-faible de santé, et ayant la poitrine délicate, elle ne put, même dans le noviciat, supporter la rigueur de la règle. Elle rentra dans le monde, mais vécut dans le célibat et dans l’exercice de la plus haute piété, conservant de la vie de couvent tout ce que la faiblesse de sa constitution lui permettait de soutenir. Elle allait quelquefois à la campagne avec sa belle-mère et madame de Sévigné. Lorsqu’on était à Paris, elle demeurait aux Feuillantines, où elle était pensionnaire, et presque tous les jours visitait les Carmélites. Quand elle fut forcée de renoncer à la vie religieuse, elle prit de tels arrangements, que le but auquel visait madame de Grignan n’en fut pas moins atteint. « Elle n’a point voulu, écrivait madame de Sévigné au président de Moulceau, que son retour à la vie ôtât rien à monsieur son père de ce qu’elle vouloit lui donner par cette mort civile ; elle lui a fait à sa sortie une donation entre vifs, très-bien conditionnée, de quarante mille écus qu’il lui devoit... Je vous avoue que j’ai été fort touchée de cette faveur faite si à propos, et j’admire que son bon naturel lui ait fait faire sans art la seule chose qui étoit capable de lui redonner du prix dans sa famille, où elle est présentement agréée et considérée comme la bienfaitrice. » C’était en dire bien assez ; et l’on s’étonne qu’une femme d’autant d’es-

  1. Lettre du 1er juillet 1685.