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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


château et particulièrement son cabinet, « digne de Versailles[1] ? »

Les grands sacrifices qu’il fallait faire pour que le jeune marquis parût convenablement à la cour et à l’armée venaient se joindre lourdement à tous les fardeaux de cette maison accablée. Le petit capitaine, à la tête de la belle compagnie dont tous les hommes avaient été choisis par sa mère, avait continué ces exploits sur lesquels madame de Sévigné s’extasiait. Combattant sur la Moselle, sous les ordres de Boufflers, il était du nombre de ceux qui avaient forcé le château de Kocheim. On l’avait vu partout l’épée à la main. Très-peu de temps après, en octobre 1689, le roi lui donna le régiment de son oncle le chevalier. Se trouver à dix-huit ans à la tête d’un régiment de douze compagnies, la responsabilité était effrayante ; sa famille regrettait vivement que la mauvaise santé de son oncle, ce pauvre lion goutteux, qui se tenait les pattes croisées, ne lui permît pas de guider l’inexpérience du jeune colonel. Mais le sujet de la plus pressante inquiétude était l’accroissement de la dépense, qui augmentait nécessairement avec les honneurs. Il fallait d’abord payer au chevalier son régiment. Où trouver l’argent, quand toutes les ressources étaient taries ? Madame de Sévigné se plaignit beaucoup dans cette circonstance du peu de générosité des deux prélats. Seul, entre les oncles paternels, le chevalier se conduisit noblement. Il proposa des sûretés sur ses propres biens, pour que l’on pût faire l’emprunt qui devait servir à le payer lui-même. La permission donnée par le roi de vendre cette magnifique compagnie, ouvrage des mains de madame de Grignan, allégea le poids de la dette contractée envers le chevalier. Mais il y avait bien d’autres dépenses à faire encore pour le marquis : mille francs, par exemple, à lui donner par mois, et son équipage, dont M. de Grignan faisait les frais avec sa somptuosité habituelle, et pour lequel madame de Grignan donnait deux mulets de sa litière. Tout cela arrachait de continuelles lamentations à madame de Sévigné ; elle supportait patiemment sa propre gêne,

  1. Lettre de madame de Sévigné à madame de Grignan, 2 novembre 1689.