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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.

Dans l’été de cette même année 1691, Charles de Sévigné vint prendre les eaux en Provence : ainsi toute la famille de madame de Sévigné se trouvait réunie autour d’elle.

Pour compléter la fête, le petit Coulanges, de retour de Rome, arriva au château de Grignan vers la mi-octobre ; il s’y rencontra avec le cardinal de Bouillon, et les abbés de Polignac et de Guénégaud. Le duc de Chaulnes, qu’il avait laissé à Marseille, vint lui-même le rejoindre à Grignan quelques jours plus tard, et tous deux prirent congé, pour retourner à Paris, après les fêtes de la Toussaint[1]. La compagnie était toujours nombreuse et l’hospitalité splendide dans la maison du lieutenant général. Madame de Sévigné, qui savait ce que coûtait cette grande existence, était certainement bien loin de n’en voir que le côté agréable. Elle en jouissait cependant ; car elle aimait le monde. Peut-être aussi, quoiqu’elle connût bien la misère qui se cachait sous cet éclat dont sa fille était entourée, ne pouvait-elle se défendre d’une orgueilleuse faiblesse en la voyant ainsi briller. C’est du moins le seul sentiment qu’elle laissait percer en écrivant à Bussy, qui n’avait pas, il est vrai, ses plus intimes confidences. « Leur château, lui disait-elle, est très-beau et très-magnifique. Cette maison a un grand air ; on y fait bonne chère et on y voit mille gens. » Elle avait souvent, dans ses lettres à sa fille, fait de la vie de Grignan une peinture qui se rapportait sans doute à celle-ci, mais dont le ton était différent et où toutes ces magnificences n’étaient pas mises dans le même jour ; elle y représentait les gens « à table jusqu’au menton et contribuant à la consomption de toutes choses. »

Dès le mois de septembre 1691, madame de Sévigné avait proposé à madame de la Fayette de hâter pour elle son retour à Paris ; car la santé de cette ancienne et fidèle amie devenait de jour en jour plus mauvaise. Madame de la Fayette la rassura généreusement et repoussa l’idée d’un si grand sacrifice. Ce retour cependant était un de ses souhaits les plus vifs ; et elle ne pouvait s’empêcher d’exprimer la pensée qu’un voyage à Paris serait utile aux affaires de madame de Grignan. Quand elle eut lieu de penser que la résolution était prise et qu’elle

  1. Mémoires de Coulanges, p. 310 et 311.