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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


expédition qu’il avait faite pour repousser une invasion de la Provence qu’on redoutait à la fois du côté des montagnes et du côté de la mer.

Partout ailleurs qu’auprès de sa fille, madame de Sévigné eût regretté la paix de ses pauvres Rochers ; mais telle était sa tendresse maternelle qu’elle n’aurait pas voulu choisir, pour y finir sa vie, un autre séjour que ce château de Grignan si plein de mouvement, d’agitations et souvent de tristes inquiétudes. Elle entrait si aisément dans tous les sentiments de celle qui lui était chère par-dessus tout, qu’en dépit des réclamations de la sagesse, elle ne pouvait s’empêcher, comme nous l’avons déjà remarqué, à l’occasion d’une de ses lettres à Bussy d’admirer, presque avec le même orgueil qu’elle, le grand air de ce château, ses meubles somptueux, ses magnifiques constructions, ses écussons en manteau ducal, sa fière devise : « Mai d’hounour qué d’hounours[1], » et ses vastes terrasses, où l’on pouvait arriver en voiture, et d’où la vue s’étendait au loin jusqu’aux montagnes[2]. Malheureusement derrière toutes ces splendeurs, on apercevait la ruine qui en approchait : la

  1. M. Aubenas (Histoire de madame de Sévigné, p. 579) nous apprend que telle était la devise de la famille de Grignan.
  2. On aimera peut-être à trouver ici quelques détails sur le château de Grignan. Nous les empruntons en partie à l’Itinéraire de Lyon à la Méditerranée de M. Joanne, en partie à une note manuscrite qu’a bien voulu nous transmettre M. de Payan Dumoulin.
    Ce château, bâti dans le style de la Renaissance, est situé au sommet d’un vaste mamelon, et solidement assis sur un massif de rochers. Il domine la ville de Grignan. Il n’était accessible que du côté du nord. Un pont-levis, aujourd’hui remplacé par un pont fixe, l’isolait sur ce point. On entrait par la porte du nord dans un grand vestibule, qui conduisait dans la première cour d’honneur, où s’élevait la principale façade, celle du midi. Cette façade, construite sous Franiois Ier, était ornée de salamandres et couronnée de statues et de vases ; elle se composait de cinq étages d’ordres différents. Deux tours très-hautes flanquaient à l’est et à l’ouest ce corps de logis ; celle de l’est a été habitée par madame de Sévigné.
    Un autre corps de logis, de construction plus moderne, était au levant. Il est connu sous le nom de façade des Prélats, parce que ce furent le coadjuteur d Arles et l’évêque de Carcassonne qui le firent élever à leurs frais, d’après les dessins de Mansart.
    La façade du couchant est aujourd’hui la mieux conservée de toutes. À gauche de cette façade s’ouvrait une grande galerie du quinzième siècle avec portes et croisées à colonnes torses ; c’était la galerie des portraits en pied des Adhémar.
    Le château de Grignan était partout environné d’immenses terrasses. Une d’elles, bâtie en longues dalles de pierre, était au-dessus de l’église collégiale de Saint-Sauveur, et en formait la toiture. Du haut de ces terrasses on jouissait d’une magnifique perspective. On apercevait au midi une foule de bourgs ou villages, au nord de grandes forêts d’yeuses, au nord-est la montagne de la Lence, à l’est le mont Ventoux, à l’ouest, au delà du Rhône, les montagnes de l’Ardèche.
    M. Léopold Faure, aujourd’hui propriétaire du château de Grignan, a sauvé de la destruction tout ce que les ravages du temps et le vandalisme révolutionnaire ont épargné de ce bel édifice.
    M. Aubenas, dans son Histoire de madame de Sévigné, a donné (p. 576-585) une description détaillée du château de Grignan.