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NOTICE BIOGRAPHIQUE


bien être un dépit amoureux du galant maître. C’était l’habitude de Ménage d’adorer ses écolières. Il brûla tour à tour pour mademoiselle de Chantal et pour mademoiselle de la Vergne (madame de la Fayette[1]), à qui il donna aussi des leçons. Il les chanta l’une et l’autre dans toutes les langues. Il les aima avant et après leur mariage, et lorsqu’elles furent devenues veuves. Jeune encore, dans le temps de ce professorat si plein de douceur (il n’avait que treize ans de plus que madame de Sévigné), ayant de grandes prétentions à la galanterie, et d’assez agréable figure, son adoration, s’il n’eût tenu qu’à lui, ne fût pas restée si platonique. Mais toujours madame de Sévigné eut cet art, dont Bussy lui fait quelque part compliment, de réduire un amant à se contenter d’amitié. C’était un mélange de coquetterie innocente, de sagesse sans pruderie et de bonté véritable, à faire enrager les pauvres amoureux et à désarmer leur dépit. Le malheureux Ménage y perdait son latin. Il se fâchait, puis revenait, et ne pouvait longtemps en vouloir à une si aimable femme, qui lui écrivait : « Adieu, l’ami, de tous les amis le meilleur. » Mais il payait cher quelquefois ces douceurs. Bussy raconte qu’un jour, ayant à sortir pour quelque emplette, madame de Sévigné eut la cruauté de le prier de monter seul avec elle dans un carrosse, en lui disant qu’elle ne craignait pas que personne en parlât. Et comme il s’offensait d’être traité avec ce dédain : « Mettez-vous dans mon carrosse, dit—elle, et si vous me fâchez, je vous irai voir chez vous[2]. » Tallemant a une autre anecdote où Ménage fait à peu près la même figure. Madame de Sévigné lui donnait un baiser en présence de quelques galants, qui s’en étonnaient. « C’est comme cela, leur dit-elle, qu’on baisait dans la primitive église[3]. » Laissons dans les Historiettes un autre mot, plus ou moins authentique, qu’elle dit aussi à

  1. On connaît la pointe assez plaisante de l’épigramme contre Ménage :

    . . . . Quum doctorum compiles scrinia vatum,
    Nil mirum si sit culta Laverna tibi.

  2. Histoire amoureuse des Gaules, dans le tome II des Mémoires de Bussy, p. 434.
  3. Historiette de Sévigny et de sa femme.